Combien d’intellectuels et d’artistes doivent mourir en silence, dans l’oubli, l’insouciance, parfois le déni de leurs œuvres et leur valeur ajoutée pour la culture tunisienne, pour que le ministère de la Culture œuvre pour l’instauration d’un système leur garantissant une vie digne. Eux qui ont voué leurs vies à l’art et ont porté haut le drapeau de la Tunisie ? Nul ne saurait répondre à cette question que la scène culturelle se pose depuis des décennies, tout en assistant aux disparitions douloureuses de plusieurs personnalités culturelles et artistiques…
Compter le nombre de personnalités culturelles et artistiques disparues en silence et sans hommages, n’est pas une tâche aisée. Cependant rappelons le sort de quelques-uns : le grand chanteur Hédi Kallel, décédé à l’âge de 83 ans, a terminé ses derniers jours dans la pauvreté, dans une maison offerte par un bienfaiteur et avec une prime mensuelle dérisoire de l’Etat de 200 dinars; l’illustre poète autodidacte Mnawar Smadah, décédé le 28 décembre 1998, qui a passé les dernières années de sa vie dans un état de démence, suite aux déceptions politiques et sentimentales et à qui la révolution du 14 janvier n’a pas rendu hommage et le poète Mohamed Ridha Jellali, mort dans des conditions douloureuses en 2000, en laissant un recueil de poésie auquel le ministère de la Culture n’a pas pensé donner suite dans une deuxième édition pour perpétuer son oeuvre, malgré l’avis favorable des critiques littéraires qui l’ont analysé.
Les conditions très peu reluisantes de plusieurs personnalités artistiques et culturelles incitent à une révision en profondeur des lois en vigueur. D’ailleurs, plusieurs créateurs vivent dans la souffrance (maladie ou pauvreté), certains d’eux travaillent dans le cadre du mécanisme 16; alors que pourtant, ils ne répondent pas aux critères requis pour ce dispositif. Dans une conférence donnée par la ministre de la Culture Latifa Lakhder, le 1er octobre au siège du ministère, une batterie de mesure a été présentée qui, nous l’espérons, est annonciatrice de changement radical.
La ministre a annoncé qu’elle a eu l’accord du gouvernement pour revoir à la hausse le budget du ministère de la Culture, sans pourtant dévoiler le montant de l’augmentation (La loi de finance 2015 indique que le budget du ministère de la Culture est fixé à 192 957 000 dinars). Par ailleurs, la ministre a indiqué que trois mesures urgentes seront prises au profit des intellectuels et des créateurs, à savoir : la révision du régime relatif à la sécurité sociale des créateurs et artistes en partenariat avec la présidence du gouvernement et le ministère des Affaires sociales, l’augmentation du budget alloué à l’encadrement des créateurs et artistes et faciliter les procédures de l’obtention des primes de l’aide sociale. D’ailleurs 91 créateurs ont bénéficié de ces mesures récemment.
Mais l’aspect matériel de la problématique n’est qu’une facette parmi d’autres. Car quatre ans après la révolution du 14 janvier 2011, la jeunesse tunisienne ne connait pas les sommités de son pays, l’espace médiatique n’accorde pas assez de place aux artistes et aux intellectuels. L’espace médiatique a été envahi par les politiciens, les tractations politiques qui remplissent le petit écran et les spectateurs ont eu droit à toute sortes d’analyses (contexte oblige ou buzz oblige ?!)
Ce phénomène est intimement lié à la marginalisation des intellectuels et artistes à travers plusieurs moyens. Dans les productions télévisées les intellectuels et les artistes sont souvent raillés pour les ridiculiser. Ainsi, à travers les années, une bonne partie de la société est habituée à considérer l’intellectuel comme un marginal. Cette image véhiculée par les productions télévisées a fini par s’imposer à un certain nombre de Tunisiens et a réussi à les convaincre que les intellectuels et les artistes ne peuvent pas être autrement.