Quel état des lieux des droits économiques et sociaux, culturels et environnementaux au Maghreb ? C’est à cette question que les participants au Forum thématique sur les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux au Maghreb, tenu à Hammamet les 2 et 3 octobre, ont essayé de répondre. L’emploi, l’éducation et l’accès à la santé étaient les sujets qui ont le plus alimenté le débat entre les intervenants et un public composé de représentants de la société civile venus des pays maghrébins, pour participer à ce forum qui s’inscrit dans le cadre de l’initiative « l’Intégration régionale ; quelle alternative populaire pour une intégration effective et durable du MAGHREB » qui a été lancé le 2 octobre à Tunis. Au niveau de l’emploi, de l’éducation et de l’accès à la santé, les défis demeurent plus ou moins les mêmes pour les pays du Maghreb d’après les différents intervenants.
Emploi : un effort reste à faire pour la Tunisie et le Maroc
Pour l’économiste Mokadem Mongi, entre la législation régissant l’emploi et la réalité des choses il y a beaucoup de choses à revoir. D’après cet économiste, malgré la signature de 58 conventions internationales qui se rapportent au droit du travail et à la relation professionnelle, et malgré l’adhésion de la Tunisie à l’Organisation internationale du Travail juste à l’aube de son indépendance, la réalité n’est pas conforme aux engagements pris, car la précarité existe bel et bien dans plusieurs secteurs professionnels et les violations du droit au travail sont légion.
« Parmi les objectifs de la révolution il y a l’emploi, raison pour laquelle le droit à l’emploi a été mentionné dans la nouvelle Constitution », indique-t-il. La réalité de l’emploi a subi un grand changement à cause de la précarité, de la dégradation des salaires, de l’instabilité professionnelle, de la violation des droits élémentaires des ouvriers, de la faiblesse de la couverture sociale et de l’inégalité entre les deux sexes dans les milieux professionnels. Mais pourquoi la situation est-elle arrivée à ce stade ? Lors de son intervention le spécialiste a indiqué que la Tunisie subit le contrecoup des changements qu’a connus le monde à travers la mondialisation, soit « le passage d’un modèle où il n’existe pas de concurrence et où l’Etat intervient à tous les niveaux à un modèle où l’économie de marché impose ses lois », précise-t-il. Et de continuer que la Tunisie s’est inscrite dans la logique d’une économie de marché : cela a engendré l’augmentation des cas de licenciements collectifs.
Parmi les caractéristiques du nouveau paysage du monde professionnel, d’après l’intervenant, les contrats CDD qui représentent une forme d’emploi précaire : « Les pays sous-développés n’ont pas échappé à la mondialisation et ont subi des changements profonds orchestrés par la Banque mondiale et le FMI qui optent pour l’enracinement de l’économie de marché ». Et d’affirmer qu’il en résulte l’affaiblissement du pouvoir de négociations des fonctionnaires, la révision des salaires de base, l’augmentation de l’âge de départ à la retraite, la dégradation du pouvoir d’achat. Se basant sur les chiffres de l’INS, l’économiste Mongi Mkadem a indiqué que 44% des employés dans le secteur privé travaillent avec des CDD qui se réfèrent à des emplois précaires.
Pour le cas du Maroc, Hamdi Abderrafie, Directeur exécutif CRDH Rabat, conseil national des droits de l’Homme et consultant accrédité auprès de l’Organisation arabe du travail ( OAT ), les approches intégrées d’emploi sont absentes du Maroc et dans toute la région MENA. « Le marché de l’emploi au Maroc souffre de la précarité« , dit-il.
Santé : des signaux alarmants
Tout en rappelant que le droit à la bonne santé est un droit acquis, d’après le paragraphe 1 de l’article 12 du Pacte des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux.
Selon les statistiques avancées par Dr. Moncef Ben Haj Yahia sur les problème de la santé en Tunisie, on constate une émergence des maladies non transmissibles de type chronique et dégénératif, dont le coût de prise en charge reste élevé. Et de préciser qu’en 2002, ces maladies constituaient 79,7 % des décès et 70,8 % de la charge de morbidité, une recrudescence des accidents de la voie publique avec de fortes conséquences en termes de mortalité et de morbidité : 15% de la charge de morbidité avec environ 1500 décès par an et plus de 10000 blessés, et une prévalence (nombre total de cas par rapport à la population) de l’hypertension artérielle de 30,2 % et une prévalence du diabète de 10 %, chez les plus de 35 ans et une augmentation du nombre de nouveaux cas de cancer par an, avec près de 15000 cas de cancer en 2014.
Concernant l’accès aux soins, le docteur a indiqué que 21,7% des Tunisiens ne disposent d’aucune couverture de santé d’après l’enquête sur la consommation des ménages 2010. Les chiffres avancés par l’intervenant indiquent bel et bien que l’égalité financière en matière de santé de base n’est pas une réalité palpable car 5 % des ménages subissent annuellement des dépenses médicales très lourdes (+ de 40 % des revenus disponibles au ménage) et 1 % des ménages descendent sous le seuil de pauvreté. Il ajoute : « Entre 2000 et 2013, la part des dépenses de santé dans le PIB est passé de 5,5% à 7,1%, sans amélioration significative de l’état de santé des Tunisiens. Cette augmentation a bénéficié essentiellement au secteur privé de la santé ». Avant de continuer : « La part des ménages dans les dépenses totales de santé a légèrement baissé, avec la création de la CNAM, mais elle reste importante 37,5%, largement au-dessus des 20% recommandés ».
Evoquant le sujet de l’offre de soins, le docteur a indiqué : « En 2010, on compte 2085 centres de santé de base dans le pays, soit environ un centre pour 5000 habitants. Mais 938 centres n’assurent qu’une consultation médicale pour une journée par semaine et 352 centres assurent deux jours par semaine ». Quant aux hôpitaux, 109 d’entre eux sont sous-financés et sous-équipés. Parlant des problématiques des médecins spécialistes, l’intervenant a indiqué que 33 hôpitaux régionaux connaissent un manque de spécialistes. Les hôpitaux universitaires sont eux aussi en situation de crise chronique marquée par le manque de ressources, la surcharge de travail et le départ des spécialistes vers le secteur privé. « Cette situation est le résultat d’une politique de désengagement de l’Etat qui encourage le développement du secteur privé et laisse le secteur public se débattre avec ses problèmes. Il en résulte une difficulté d’accès à des soins de qualité pour une grande partie de la population », conclut-il.
Education : de la nécessité de la réforme dans tous les pays maghrébins
Dans son intervention, « Education au Maghreb : état des lieux et perspectives« , Houssine Hadj Amor, a plaidé pour une réforme du système éducatif dans le Maghreb.« Nous revendiquerons un profil de « citoyen maghrébin » et une identité maghrébine nationale et universelle« , a-t-il dit. Et d’ajouter que l’éducation à la citoyenneté doit faire l’objet d’ un programme d’action qui touchera tous les aspects de l’éducation et de l’enseignement ».