Fait inattendu, mais bel et bien justifié, le Nobel de la Paix vient d’être attribué au Quartet d’organisations conduisant le dialogue national en Tunisie, « pour sa contribution décisive à la construction d’une démocratie pluraliste à la suite de la Révolution du jasmin de 2011 » (texte du comité Nobel norvégien).
Des observateurs internationaux s’attendaient au choix d’Angela Merkel, dont les positions audacieuses sur la question des migrants ont dessiné un nouveau visage de l’Allemagne. Le Pape François a été également cité parmi les favoris du prix. La chaîne de télévision publique norvégienne NRK a fait valoir ses prises de position contre les armes nucléaires et l’aide qu’il a apportée aux Etats-Unis et à Cuba pour normaliser leurs relations, sans oublier l’encyclique où il fait une large place à la lutte contre les changements climatiques.
NRK et Nobeliana, site internet dirigé par des historiens, qui livre chaque année ses pronostics, avancent aussi les noms de Setsuko Thurlow, une survivante à la bombe atomique d’Hiroshima, tandis que Nobeliana cite celui de Sumitero Taniguchi, survivant du bombardement atomique de Nagasaki, – l’année 2015 correspondant au 70e anniversaire de ces catastrophes. NRK, qui a par le passé vu juste en prédisant un certain nombre de lauréats, mentionne aussi les noms des ministres des Affaires étrangères iranien et américain, respectivement Mohammad Javad Zarif et John Kerry, deux des parties prenantes de l’accord conclu à la mi-juillet sur le programme nucléaire de Téhéran.
Le choix du Quartet tunisien est significatif. Il met en valeur le rôle pionnier de la société civile tunisienne qui a mis en échec la dérive du « printemps » tunisien La soft révolution, été 2013, fut l’œuvre de la population civile et de son opposition libérale. Initié par le « Quartet », l’avant-garde de la population civile, le dialogue national a imposé la correction d’un projet de Constitution d’un autre temps, par un référentiel de promotion. D’autre part, il a imposé le remplacement du gouvernement de la Troïka, par une équipe d’experts indépendants. Le consensus résultant du changement des rapports de force remit à l’ordre du jour le retour à l’agenda tunisien : attachement à l’Etat-nation, idéaltype des Lumières, école sunnite ijtihadienne, normes du vivre-ensemble, volonté d’ouverture etc. Cette évolution illustre ce principe énoncé par le poète égyptien Jamel Bakhite : « L’obscurité ne peut éteindre une bougie ».
La réussite de la révolution tunisienne traduit l’exception tunisienne. Elle consacre le statut d’avant-garde de la société tunisienne, hérité du Leader Habib Bourguiba, le ferment de la modernité dans le monde arabe. Grâce aux acquis (développement de l’enseignement, émancipation des femmes, ouverture et tolérance), la société civile tunisienne a engagé sa révolution et assuré ses chances de réussite et de promotion, échappant aux tragédies des autres pays du « printemps arabe ».