Ce sera sans doute à la Cour Constitutionnelle de contribuer à la garantie d’un Etat de droit, c’est ce que préconisent en tout cas les pays démocratiques. Cela fait plus d’une semaine que l’on débat sur le projet de loi de la Cour Constitutionnelle, à l’ARP, où les discussions et les débats vont bon train. Pour comprendre certains articles de ce projet de loi, leconomistemaghrebin.com a interrogé Salsabil Klibi, enseignante en droit constitutionnel à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, et membre de l’Association tunisienne du droit constitutionnel.
Selon Salsabil Klibi, l’’article premier du projet de loi ne dit pas que la cour est une institution juridictionnelle, indépendante la question de la démocratie. Elle est le garant du régime démocratique, et ceci en se basant sur l’article premier de la Constitution lequel énonce clairement: « La Tunisie est un Etat libre, indépendant, souverain, sa religion est l’Islam, sa langue est l’arabe, son régime la République ». Cet « article premier paragraphe 2 de la constitution prévoit lui-même que cet article ne peut faire l’objet d’une révision pour la simple raison que le régime républicain est à la base même de la Constitution. Cependant, la fonction première de cette cour est de protéger le régime républicain et démocratique, mais elle est avant tout garante de la suprématie de la Constitution parce que c’est effectivement le rôle premier de toute Cour Constitutionnelle.
Interrogée sur la question relative à la révision de la Constitution, elle a répondu : « C’est une question qui pose problème. Justement il y a un désaccord entre les membres de la commission sur le rôle de la Cour dans l’examen des projets de loi visant à réviser la Constitution. Que dit le texte constitutionnel? Il dit que « la Cour émet des avis et non pas des décisions sur les projets de révision de la Constitution, et ceci en s’appuyant sur l’article 120 de la Constitution, c’est à dire que la Cour Constitutionnelle est seule compétente pour contrôler la constitutionnalité des projets de loi et pour contrôler le respect des procédures »; sauf que l’article 5 du projet de loi affirme qu’aussi bien les avis que les décisions de la Cour sont contraignants pour tous les pouvoirs public. C’est au niveau des débats au sein de la commission de législation générale qu’il y a un problème et il y a une résistance de la part de certains membres qui veulent que les avis de la cour soient uniquement consultatifs et non pas obligatoires.
Interrogée sur la question relative à la révision de la Constitution, elle a répondu : « C’est une question qui pose problème. Justement il y a un désaccord entre les membres de la commission sur le rôle de la Cour dans l’examen des projets de loi visant à réviser la Constitution. Que dit le texte constitutionnel? Il dit que « la Cour émet des avis et non pas des décisions sur les projets de révision de la Constitution, et ceci en s’appuyant sur l’article 120 de la Constitution, c’est à dire que la Cour Constitutionnelle est seule compétente pour contrôler la constitutionnalité des projets de loi et pour contrôler le respect des procédures »; sauf que les articles 5 et 6 du projet de loi stipulent que « les décisions émises par la Cour sont contraignantes pour tous les pouvoirs publics« .
Quelle en est la conséquence?
« La conséquence est gravissime, soutient notre interlocutrice, parce que l’article premier qui parle du régime républicain pourrait être révisé sur simple présentation par des députés d’un projet de loi de révision de la Constitution. A ce moment là, on peut porter atteinte au régime républicain, où on pourra ainsi régresser vers d’autres régimes, comme celui d’instaurer un 6e Califat parce que d’une part, on n’a pas mis dans l’article premier que la Cour a pour fonction première de préserver le caractère républicain du régime, et de deux parce qu’on n’a pas précisé qu’aussi bien les décisions que les avis de la Cour sont contraignants pour tous les pouvoirs publics. Si on omet ces deux éléments, cela devient très très grave parce que la Cour ne pourra plus remplir son rôle de protecteur de la Constitution, encore moins de garante de la suprématie de la Constitution. »
Et de poursuivre: « Et là on risque un retour à l’avant 2011, c’est à dire à une situation dans laquelle la majorité dans un Parlement fait exactement ce qu’elle veut, elle décide de ce qu’elle veut et elle n’est plus liée par la Constitution qui ne sera plus donc un texte suprême et le Parlement se trouvera totalement libre. C’est pourquoi on a besoin d’une Cour Constitutionnelle forte parce qu’elle est appelée à contrôler un organe qui dispose de la légitimité électorale si la Cour Constitutionnelle n’est pas assez forte, elle ne pourra pas s’imposer à un organe qui est élu. Mais pour qu’elle soit forte, il faut lui reconnaître des compétences larges même pour les avis qu’elle donne, ils doivent être contraignants, mais aussi par le biais de sa crédibilité qui suppose qu’elle inspire confiance au public qu’elle est indépendante, à savoir que les gens ne voient pas en elle un organe au service d’un parti politique ou d’un lobby ».
Et d’ajouter : « C’est pourquoi la question de l’indépendance des juges à la Cour, qui est une question fondamentale sur l’efficacité de cette Cour en tant qu’organe de contrôle de garantie de la suprématie de la Constitution. Il faut surtout surveiller ce qui se passe dans la commission, dans quel sens se dirige le débat, est-ce que la discussion va aboutir à une régression par rapport au projet de loi du gouvernement et surtout vis à vis des avis consultatifs ou conformes ? Lorsqu’on parle d’un avis conforme, cela sous-entend que l’avis est contraignant par rapport à l’institution qui l’a demandée ; c’est un peu à l’image du Tribunal administratif puisque ses avis sont conformes ».
Et de conclure: « Il faudra songer à nommer des juges, qui siégeront dans cette institution, qui soient complètement indépendants, que leur nomination ne soit pas une sorte de récompense pour service rendu car il faut penser que c’est une institution qui est la clé de la démocratie, un organe de contrôle sur tous les pouvoirs exécutif et législatif. Elle peut même destituer le président de la République, s’il s’avère que les accusations à son encontre sont fondées. Cela dit, il est vrai qu’elle est très puissante. »