Soucieux de se positionner dans le cadre de la préparation de leur congrès, Ennahdha et Nidaa Tounes dessinent, redessinent ou révisent les lignes de force idéologiques. Pouvaient-ils ignorer leur hérédité culturelle ? Seraient-ils en mesure de fédérer, dans les alternatives qu’ils font valoir, les différentes ailes ou tendances constitutives de leurs deux partis ? Pouvaient-ils privilégier le jeu politique et occulter les contenus, c’est-à-dire leur programme, les attentes de leurs adhérents et les scénarios d’avenir ? Pouvaient-ils ignorer la logique d’explosion, que peuvent mettre à l’ordre du jour les tactiques politiciennes de certains de leurs dirigeants ? Fait surprenant, le débat concerne les états-majors et ignore la base populaire.
Le dirigeant d’Ennahdha vient de déclarer que « son parti et le courant destourien ont le même grand-père », à savoir le cheikh Abdelaziz Thâalbi, le fondateur, en 1920, du Parti Libre Constitutionnel Tunisien (Al-Hizb al-hor Addoustouri Attounsi). Est-ce à dire que les deux partis ennemis sont en réalité des frères ? Ce qui légitimerait leur « alliance politique », apparemment contre nature. Le cheikh Abdelaziz Thâalbi est un alim zeitounien, dont la pesanteur islamique était évidente. D’ailleurs, son parti était dominé par des alim formés essentiellement dans les sciences religieuses. Mais le cursus de leur leader fait valoir son refus d’une lecture littérale des sources.
Corrigeant le tir, le politicien Slaheddine Jourchi rappelle, au sujet du parti islamique dont il faisait parti, au sein de la direction : « Ses pères légitimes étaient bel et bien les Frères musulmans, nous les avons respectés avec excès et même vénérés, alors que Abdelaziz Thâalbi n’était pas notre référence, ni lui, ni aucune autre personnalité tunisienne » (Slaheddine Jourchi, « Bourguiba et Thaâlbi et le jeu de recherche d’un grand-père commun », in Ad-Dhamir, 22 septembre 2015). Le parti Ennahdha peut-il transgresser le mouvement des Frères musulmans ? En tout cas, l’orientation prise révèle une volonté de se dégager de la prédication, pour s’ériger en parti politique.
Au sein de Nidaa Tounes, un clan fait valoir sa référence au cheikh Abdelaziz Thâalbi et adopte le slogan « de Thâalbi à Béji Caïd Essebsi ». Ce qui révèle une volonté de rapprochement du parti islamiste. Il occulte ainsi l’oeuvre de Habib Bourguiba, dont la dissidence avec ses amis, en 1934, a permis d’engager la mobilisation populaire et la lutte nationale et préparé le terrain à la réalisation des acquis modernistes. Au sein de Nidaa Tounes, où coexistent la famille bourguibienne, les syndicalistes et la gauche, la dérive est combattue par l’Establishment qui affirme la référence bourguibienne, soutenue d’ailleurs par l’annonce de « la Fondation bourguibienne pour le dialogue, la démocratie et le développement », au sein de ce parti.
L’interview du président de la République, Béji Caïd Essebsi, le 22 septembre, a permis de recadrer l’équation politique dominante. Elle compense un vide effectif. En effet, Nidaa Tounes est plus à côté du gouvernement qu’il n’assume le pouvoir. Le président Béji Caïd Essebsi a tenu à expliquer et théoriser la praxis gouvernementale, dans le cadre de l’option socialo-libérale de l’Establishment, dans un monde ouvert et économiquement intégré. Il a défendu un « pacte social », jetant aux orties la thématique révolutionnaire. Mais il s’agit de convaincre l’électorat populaire devant les partis protestataires et radicaux