Bilel Sahnoun, DG de la Bourse de Tunis a été l’invité de l’Economiste Maghrébin (Spécial finance octobre 2015) pour l’interviewer sur la situation de la place de Tunis, ses perspectives de développement, les prochaines introductions, comment attirer des nouveaux investisseurs… Nous publions quelques extraits…
L’Economiste Maghrébin : Un grand nombre d’entreprises introduites notamment sur le marché alternatif ont été, peu de temps après leur introduction, lourdement sanctionnées. Elles sont aujourd’hui très en deçà de leur valeur d’introduction, au grand désarroi des épargnants qui semblent avoir été induits en erreur. A qui la faute si elles ont été surestimées au départ?
Bilel Sahnoun : Il n’y a pas eu la transparence requise autour de la privatisation qui a été proposée depuis les années 1992/1993 et par conséquent, nous nous sommes écartés des bienfaits de cette privatisation.
Prenons l’exemple des banques. Au Maroc, grâce à une stratégie bien étudiée et une fusion, la capitalisation de la BMCE est aujourd’hui de 1,3 fois tout le système bancaire tunisien alors qu’on était pionnier en la matière.
Du côté de la Bourse, la question qui se pose est de savoir comment peut-on l’améliorer au moment où on privatise et qu’on n’a pas encore intégré les opérateurs économiques à fort potentiel de croissance comme les secteurs des télécoms, l’énergie, l’agriculture, le tourisme, les mines. En comparaison toujours avec le Maroc, on parle de la Bourse de Casablanca d’avant l’introduction de Maroc Telecom et de la Bourse d’après Maroc Telecom.
Cet opérateur, qui a apporté dès son introduction de la liquidité, de l’augmentation des transactions et de la profondeur pour le marché, voit sa capitalisation boursière aujourd’hui attendre celle de la Bourse de Tunis.
Dans le même sillage, il a été prévu, pour fin 2010, d’intégrer Tunisie Telecom dans la composition du Tunindex, mais cela n’a pas été concrétisé parce que le terme privatisation est devenu tabou chez certains qui pensent qu’il y a des privilégiés qui vont en profiter, alors que la privatisation via la Bourse en toute transparence est à l’avantage de toute la Tunisie.
Je pense qu’il y a, aujourd’hui, des courants politiques qui sont anti-marché financier, et ce, par malentendu ou même par erreur. Et je tiens, à cette occasion, à inviter la commission des Finances de l’ARP pour discuter autour d’une table des bienfaits de la Bourse en tant que solution et non pas en tant que problème comme elle est perçue chez certains.
Pour preuve, on a lancé l’emprunt national d’un milliard de dinars dont une partie a été souscrite par le public. Ce papier a été racheté essentiellement par les assurances parce qu’elles ont besoin d’une maturité plus ou moins longue, visant l’investissement à long terme. A cet égard, j’ai organisé des réunions avec la FTUSA pour évoquer la possibilité de travailler en synergie pour que la Bourse mettre à disposition de ces compagnies d’assurances un certain nombre d’outils pour engager avec succès des investissements lointains.
Ces assureurs peuvent lancer des OPCVM en unité de comptes avec une proportion d’actions et une majorité d’obligations d’Etat, ce qui peut créer une dynamique et affecter positivement la profondeur et la liquidité du marché financier, si l’Etat tunisien pense à lancer un emprunt de faible montant avec un objectif connu d’avance mais fréquent, comme par exemple les Bons du Trésor.
Les décisions prises concernant le payement des impôts sur les dividendes, la levée du secret bancaire, une plus grande transparence des fonds investis ont, semble-t-il, impacté l’évolution du marché boursier. Où en êtes-vous sur ces deux principes?
Il est vrai que tout le monde parle de la levée du secret bancaire, mais il faut un temps d’acclimatation. L’Egypte, par exemple, vient de décider de reporter l’application de la levée du secret bancaire, parce que ce type de décision nécessite incontestablement ce temps d’acclimatation et beaucoup de pédagogie. C’est une décision perçue en tant qu’acte de citoyenneté et les gens ne la voient pas encore sous cet angle-là.
Aujourd’hui, si on voulait privatiser les entreprises publiques et les introduire en Bourse, il faudrait leur accorder une certaine autonomie en matière de gestion et de gouvernance.
Bien évidemment. Prenons, dans ce sens, le cas de Tunisiair : la PDG, Mme Sarra Rejeb, a annoncé que la société est prête à promouvoir certaines destinations, mais il faut se mettre d’accord sur un taux de remplissage. Et si ce taux n’est pas atteint, il devrait y avoir d’autres moyens de financement au titre de compensation à part la caisse de Tunisair.
Ainsi, pour les trois banques publiques, on verra si le management, qui va se présenter bientôt va gérer avec les mêmes standards, prérogatives et objectifs de rentabilité et d’optimisation des ressources que les banques privées, ou bien il y aura à chaque fois recours au ministère de tutelle pour obtenir des autorisations. Dès lors, je ne sais pas comment on va faire pour revenir sur le flux de privatisation et accélérer ce genre de décision politique pour sauver les entreprises publiques.
D’ici la fin 2015, y aura-t-il de nouvelles introductions de grande importance?
Il y a des dossiers d’introduction intéressants auprès des intermédiaires en Bourse, mais je ne pense pas qu’ils soient finalisés avant la fin de l’année en cours, et ce, à cause de la frilosité de l’investisseur ainsi que de l’émetteur, qui pensent que le moment est mal apprécié et que l’économie globale du pays n’est pas très rassurante.