Le destin de l’Egypte est indissociable de celui du monde arabe. De la Nahda (mouvement de « Renaissance » arabe de la fin du XIXe siècle) au « réveil » de ce début de XXIe siècle, en passant par le panarabisme qui a marqué le milieu du XXe siècle, les Egyptiens ont largement contribué à façonner le visage politique et culturel d’un monde arabe moderne toujours sous‐tension. Quatre ans après la chute du Raïs Hosni Moubarak, le contexte national et régional du pays s’imbriquent plus que jamais. Ainsi, la dérive autoritaire du pouvoir est nourrie en particulier par la montée de la menace djihadiste à l’intérieur et dans l’environnement proche du pays.
Au plan interne, la contre-révolution égyptienne est toujours en marche. Un cycle législatif ponctué par deux scrutins (le 17 octobre et le 2 décembre 2015) ouvre une nouvelle étape dans la restauration d’un ordre militaro-autoritaire. Trois ans après la dissolution du Parlement démocratiquement élu, les nouvelles élections législatives sont cadenassées, jouées d’avance et destinées à refermer la parenthèse révolutionnaire comme l’épisode islamiste. Le nouveau régime mis en place repose sur le pouvoir du président Abdel Fattah al-Sissi. Un pouvoir autoritaire caractérisé par la centralité et le primat du Rais, un culte de la personnalité- entretenu par les médias- et une opposition politique largement muselée. Depuis le coup d’Etat militaire de juillet 2013, la liberté d’expression, le pluralisme politique et donc l’idée même d’opposition ont été neutralisés. Les forces progressistes et la jeunesse de la Place Tahrir sont aujourd’hui réprimées par le pouvoir. Ainsi, le mouvement de la Place Tahrir né en janvier 2011- dans la foulée de la révolution tunisienne- a été confisqué tour à tour par les Frères musulmans (qui remportèrent en 2012 les élections législatives et la présidentielle) puis Abdelfattah Al-Sissi, l’ancien chef de l’armée devenu chef de l’Etat et homme fort du pays.
Désormais classés « organisation terroriste », les Frères musulmans sont exclus du scrutin (une « régression » par rapport à l’époque Moubarak). La plupart des partis en lice- y compris la grande coalition « Pour l’Amour de l’Egypte », qui réunit une dizaine de grands partis libéraux, conservateurs et sociaux-démocrates- soutiennent le président Al-Sissi. Même le parti salafiste Al-Nour a rallié l’armée et son leader. Dans ces conditions, les futurs députés seront de simples exécutants de la volonté présidentielle, rendant ainsi la séparation des pouvoirs et la démocratisation du pays plus fictives que jamais.
Le contexte géopolitique interne et externe de l’Egypte favorise cette tendance à la concentration du pouvoir entre les mains d’un homme fort. La menace djihadiste est réelle : des forces islamistes agissent- y compris au nom de Daech– et mènent des attentats terroristes contre les forces de l’ordre au Caire, mais surtout dans le Sinaï. De violents affrontements opposent sporadiquement l’armée égyptienne et des djihadistes de l’Etat islamique, à l’origine d’une série d’attaques contre des points de contrôle et autres barrages routiers de la région du Sinaï. La situation sécuritaire s’est passablement dégradée dans cette région frontalière avec Israël et Gaza, où les groupes djihadistes prolifèrent désormais. Les forces égyptiennes font montre d’une incapacité à combattre et à démanteler les réseaux terroristes et l’Etat n’est plus de facto en mesure d’assurer le maintien de l’ordre sur une vaste partie de son territoire. Dans ces conditions, le président Abdel Fattah al-Sissi a beau jeu de surfer sur une sorte d’hyper-nationalisme post-nassérien, sur fond de lutte contre le terrorisme islamiste. Une lutte légitime par essence, mais qui ne saurait justifier une dérive liberticide qui condamnerait les derniers espoirs de liberté du peuple égyptien.