Les prix flambent, les taux d’intérêt sont au plus haut…pour autant, l’activité du secteur immobilier est toujours frémissante, peut-être parce qu’elle a montré le plus de résilience après la révolution. L’immobilier a fait l’objet du dossier du mois de notre magazine mensuel de l’entreprise « Le Manager ».
Le secteur de l’immobilier a tiré son épingle du jeu durant la période post-révolution jusqu’à pratiquement le début de l’année en cours où il a entamé un cycle baissier. En effet, depuis cette date, le BTP, qui a triomphé de tous les secteurs entre 2011 et de 2014, n’est plus tiré par le seul bâtiment mais, plutôt, par le carnet des commandes de l’Etat en matière d’infrastructures notamment. Pour confirmer encore plus cette tendance en 2015 qui a débuté, il faut le souligner, dès la rentrée 2014, un petit tour chez les équipementiers suffit pour relever une demande nettement plus soutenue dans les équipements de Travaux publics au détriment des équipements destinés au pur bâtiment.
Au niveau des produits rouges, même constat avec une baisse du prix de la tonne qui passe en moyenne de 75 dinars au plus fort de 2012 et 2013 à 48 dinars ces derniers temps. Au niveau des ventes immobilières, même constat et même conclusion qui prévalent suite à la sérieuse décélération, parfois même carrément la baisse du prix du mètre carré bâti, même s’il reste assez souvent hors d’atteinte. C’est là la situation d’un secteur qui commence à sentir le vent tourner et les méventes s’accroître mais, pour des raisons qui lui sont propres, il ne semble pas s’en inquiéter outre mesure.
Pourtant, on est bien loin des augmentations des prix de 20% annuellement qui ont prévalu quatre ans durant, le plus souvent, sans justification aucune. On est loin de la tornade des prix suscitée par une demande qui ne faiblissait pas. L’exemple le plus frappant a été celui des lotissements « Les Jardins de Carthage » et de « Ain Zaghouan » à Tunis-Nord dont les prix ont crû de 1400 dinars/m² en 2011 à 1800 dinars en 2012 pour des immeubles construits en 2009 et 2010. Ces prix ont continué leur valse pour atteindre 2400 dinars en 2013 et 2014 pour des bâtisses construites entre 2010 et 2012. Quelles que soient les justifications avancées, les prix des intrants n’ont pas augmenté d’autant.
Et pourtant, les ménages tunisiens ont continué de subir cette vertigineuse hausse des prix de la part des promoteurs immobiliers et de…l’administration fiscale qui n’a pas raté l’occasion de renchérir en augmentant les droits d’enregistrement en 2014 à 3% pour toute acquisition supérieure à 150 mille dinars. Or à 2400 dinars/m² pour un appartement de 130 m², locaux communs compris, le prix d’achat dépasse allègrement les 300 mille dinars sans compter le prix d’une place de parking, vendue en moyenne à 15 mille dinars. Le surcoût fiscal atteint, dans ce cas, près de 50% du montant réglé avant 2014. Malgré cela, les ventes ont continué de progresser et les prix également avec, comme dindons de la farce, les immanquables ménages.
Des prix élevés versus une qualité parfois médiocre
Il est communément admis, même dans la profession, que le prix d’un bien immobilier est fonction de trois paramètres. Le premier a trait à son emplacement, le second à la qualité des matériaux utilisés et le dernier à la densité de la construction. Si au niveau de l’emplacement, les terrains sont devenus rares dans les grandes villes, et même dans les villes moyennes, d’où l’augmentation de leur prix, des actions correctrices ont, néanmoins, le plus souvent été intégrées par les professionnels pour contrecarrer cette contrainte presque naturelle.
Deux éléments correcteurs sont à citer. Le premier concerne le Coefficient d’Utilisation Foncière (CUF) qui est élevé dans les zones à construction collective, ce qui réduit fortement l’impact du prix du foncier sur le prix de vente. Le second élément a trait au fait que les promoteurs immobiliers achètent souvent des terrains auprès d’organismes publics ou dans des zones à vocation encore agricole ou non encore concernées par les plans d’aménagement (voir Mnihla, Hadaiek El Menzeh…), se constituant ainsi des réserves foncières importantes à même de constituer un levier à l’activité. Aussi, l’argument tenu à chaque fois sur l’évolution des prix des terrains n’est pas, à notre sens, aussi contraignant comme on voudrait bien le faire croire.
Pour ce qui est du deuxième élément, ayant trait, lui, à la qualité des matériaux utilisés, les reproches et les abus sont légion. Des matériaux de bas ou de moyenne gamme sont souvent présentés comme étant de haute qualité. Cela va du marbre, le plus souvent le très poreux Thala, de mauvaise qualité de surcroît, ou l’entrée de gamme du marbre blanc, sublimé à tort et importé à prix très réduit, jusqu’à la quincaillerie, bas de gamme également, le plus souvent chinoise, turque ou de fin de série, en passant par les équipements sanitaires, également d’entrée de gamme et les chaudières provenant de pays à bas coût. Tout cela personne n’en parle et c’est pourtant la plus importante composante du prix de revient.
Ce qui est frappant dans la vente de biens immobiliers neufs en Tunisie, c’est le paradoxe par rapport à l’Europe et à l’Occident en général. Ainsi, quand vous achetez un appartement en Europe, le cahier des charges à l’achat est un véritable pavé avec plein de spécificités techniques sur lesquelles s’engage le promoteur immobilier. En Tunisie, aucun document hormis parfois le « flyer » sur le projet. Le visuel de l’acheteur qui fait, à la va-vite, un petit tour dans l’appartement, parfois dans l’appartement témoin, n’y connaissant pas, en plus, grand-chose à la construction et ses tours de passe-passe, ne posant aucune question d’ordre technique, est le seul visa de vente et le cahier des charges « oral » dont il n’en restera, plus tard, que de vagues mots ou idées. Aucun élément écrit, c’est à croire que nos promoteurs agissent à dessein et, bien sûr, l’administration laisse faire, bizarrement.
Au niveau des manquements, des exemples multiples et frappants sont, à chaque fois, rapportés. Ils sont, à la limite, révoltants et traduisent le plus souvent l’absence de professionnalisme de la part des promoteurs immobiliers comme c’est le cas avec le problème de l’isolation des biens vendus. Combien d’acheteurs ont été surpris par le comportement phonique et thermique de leur appartement avec une absence quasi totale de toute isolation aussi bien pour le bruit que pour la chaleur ?
Votre voisin du dessus, ou du dessous, tousse et vous êtes même capable de deviner la nature de sa toux et probablement le médicament qui va avec. Pourtant le coût supplémentaire pour traiter ces problèmes est dérisoire. Il aurait suffi de mettre du polystyrène ou une couche caoutchouté au sol avant le coulage des plafonds pour donner du confort aux ménages. Ces lacunes, outre l’inconfort causé, posent au client et à l’économie du pays un surcoût d’exploitation. Les expériences faites avec quatre personnes enfermées dans une chambre bien isolée et une autre non isolée ont donné un temps de refroidissement, par climatisation, deux fois et demi plus important dans le second cas. Le client perd donc à l’achat et lors de l’exploitation. Et le pays avec, faute de normes établies et contraignantes.
Imposer le cahier des charges à l’achat
Enfin, la densité des habitations. Sur ce point, le standing apparent se transforme carrément en quasi-standing « HLM » après quelques années d’exploitation seulement, aggravé par le fait que les copropriétaires omettent, parfois et même assez souvent, de payer les frais de syndic. Le standing ne va pas de pair avec la grande densité compte tenu du comportemental du Tunisien, un peu éloigné de l’échelle des valeurs de la vie en commun. Mais là aussi, sur le plan conceptuel, il aurait fallu rester sur des densités moyennes comme cela a été le cas durant des décennies en Tunisie. Densité faible qu’on a troquée contre de l’intensif au motif de l’augmentation incessante des prix des terrains sans connaître réellement le potentiel de laideur que cela a engendré et engendrerait. Quand vous mettez ensemble les trois éléments sus-cités pour déterminer la qualité d’un bien, le premier réflexe qui s’impose à vous est d’essayer de voir votre environnement immédiat et les dizaines d’appartements visités pour essayer de regarder différemment le process.
Celui-ci reste, sous une telle lumière, dénué de tout bon sens avec une absence inexplicable de documents techniques écrits sur la qualité du bien acheté à laquelle s’ajoute un autre problème, celui de l’absence de clarté dans l’aspect foncier, puisque l’on vous promet, à l’achat, un titre foncier individuel dans un ou deux mois mais vous passez parfois dix ans ou plus sans l’avoir avec, à chaque fois, le même argument : les lenteurs administratives. Comme si l’administration est un élément surprise que le promoteur immobilier n’a jamais côtoyé auparavant.
Le même process reste également très opaque au niveau des prix car ce qui est avancé aujourd’hui en la matière est faramineux et n’a rien à voir avec la vérité des prix. Selon, certains opérateurs, la promotion immobilière a dégagé, durant ces quatre dernières années, un gain net fluctuant entre 35 et 50% des sommes investies. Cela pourrait expliquer la mévente d’aujourd’hui qui ne serait, en fin de compte, pas inquiétante pour les professionnels qui ont déjà couvert leurs charges et même engrangés des gains grâce à ce qui a déjà été vendu. Garder le pied sur le frein pour les appartements restants ne serait donc pas aussi alarmant.
Dans un tel contexte, seule la clarté des rapports au profit du client, qu’il faudra protéger davantage, pourra donner, aujourd’hui, du sens à un secteur qui souffre d’une image couplant la bonne rentabilité et des clients peu satisfaits.