La corruption est un fléau mondial qui ne cesse de s’étendre. Elle touche tous les pays et concerne tous les secteurs d’activité. Pour mieux comprendre ce phénomène, leconomistemaghrebin.com a rencontré Kamel Ayadi, expert international en développement et en lutte contre la corruption. Interview…
leconomistemaghrebin.com : Pensez-vous que la corruption a augmenté ou a baissé avant et après la révolution?
Kamel Ayadi : Je crois que ce n’est pas facile de répondre à cette question pour la simple raison que si on se fie à la perception des gens, il y a ce qu’on appelle un sentiment collectif à propos du niveau de corruption. Il est difficile de mesurer la corruption par des données empiriques qui ont été réalisées à travers la perception collective. Une étude de Transparency international à laquelle j’ai participé a montré que la Tunisie a chuté de 20 points dans le classement de l’indice de perception de la lutte contre la corruption en 2014, en comparaison de l’année 2010.
Comment peut-on mesurer la corruption?
La corruption est un phénomène sournois. On ne peut la mesurer que sur des cas pratiques liés à un jugement du tribunal. Quand on veut mesurer la corruption, le seul moyen est la perception qui peut être trompeuse, car elle se nourrit de la désinformation. Mais la perception reste toujours subjective et elle est aussi la réalité. Tout le monde reconnaît l’existence de la corruption que ce soit du côté des personnalités politiques, que des membres du gouvernement. Bref, il y a un consensus sur le fait que le niveau de corruption a augmenté.
N’y a-t-il pas un moyen d’éradiquer la corruption?
J’ai toujours dit que vous vous vous feriez des illusions si vous pensiez que la corruption avait baissé. Malheureusement, c’est tout à fait le contraire. Les expériences des autres pays nous ont montré que la corruption augmente dans les premières années de chaque révolution, parce que dans une dictature tout est verrouillé et la corruption est de plus en instrumentalisée; et ce, contrairement à ce qui se passe dans les démocraties naissantes. Le vrai combat contre la corruption devra passer par la lutte contre la dictature et le totalitarisme. Ceci ne peut se faire qu’avec un consensus collectif d’adhésion de toute une société à ce processus, à travers notamment un renforcement de la transparence.
Qu’en est-il de la corruption dans les partis politiques?
Ce sont de nouvelles corruptions qui sont en train d’émerger dans les partis politiques. On parle de financement des partis politiques dans leurs campagnes électorales qui laisse beaucoup à désirer. Qui dit argent politique, dit hommes d’affaires qui se retrouvent en tête de liste dans des campagnes électorales. Ceci n’aboutira qu’à de très lourdes conséquences. C’est pour cette raison que j’insiste sur ce qu’il y ait un système de gestion de conflit d’intérêts au Parlement, comme dans les pays démocrates. N’est-il pas opportun de créer, par exemple, une commission de gestion des conflits d’intérêts, comme dans certains parlements en Europe. En Belgique et aux Etats-Unis, il y a des commissions éthiques au sein du Parlement.
Selon vous, que faut-il faire?
Certes, nous avons une loi contre le terrorisme et le blanchiment d’argent, mais j’ai constaté que le gouvernement s’est dessaisi de la lutte contre la corruption. Nous devons dénoncer la corruption. Plusieurs pays ont réussi à la maîtriser. Il faut penser à la création d’une instance nationale de lutte contre la corruption. Aujourd’hui, il y a un vide institutionnel et juridique. J’ajouterais aussi qu’il s’agit de combattre des mentalités. Il faut commencer par l’éducation en matière d’éthique, que ce soit au sein des entreprises que dans les administrations. Aujourd’hui, on a l’impression d’entendre parler de la lutte contre la corruption comme un simple fait, sans appliquer des mesures concrètes de lutte. Il faut, dans l’urgence, créer une instance nationale de lutte contre la corruption. Ses membres doivent être des personnes indépendantes connues pour leur intégrité et leur indépendance.
Quel est votre avis sur le projet de loi sur la réconciliation économique et financière?
Si les choses avaient été faites de manière transparente, nous n’aurions pas eu cette polémique. Je suis pour le principe de la réconciliation. En matière de corruption financière, il faut penser d’abord à la préservation des entreprises et des postes d’emploi. Il faut trouver des arrangements sans nuire au tissu économique, ni céder à l’impunité. Il faut reconnaître qu’il y a aujourd’hui une crise de confiance qu’il faut très vite dissiper pour pouvoir relancer l’économie tunisienne. S’il n’y a pas de confiance, il n’y a pas d’affaires.