Israël (puissance occupante de Jérusalem-Est) et la Jordanie (gardienne des lieux saints à Jérusalem) ont trouvé un accord sur une nouvelle réglementation portant sur le contrôle de l’esplanade des Mosquées. Le cycle de violence n’est pas clos pour autant. Et pour cause, ses racines sont profondes et structurelles. Parmi celles-ci, les conséquences de l’évolution de l’idéologie sioniste sont encore sous-estimées.
Si le sionisme constitue le fondement nationaliste de (la création de) l’Etat d’Israël, la nature de ce dernier a évolué sous l’influence de l’évolution du premier. Depuis la naissance de l’Etat d’Israël, le sionisme originel, « laïc » et socialisant, est progressivement dépassé et absorbé par une lecture biblique et quasi mystique par les sionistes juifs et chrétiens (notamment les fondamentalistes évangélistes), pour lesquels la Palestine est le berceau et la « Terre promise » du peuple juif.
La « Guerre des Six jours » (1967) et la conquête historique de la vieille ville de Jérusalem ouvrent la voie à l’idée d’une reconquête territoriale justifiée par la volonté de Dieu: « Le projet sioniste de la libération des juifs devient un projet de libération de la terre » (Z. Sternhell). L’ascension du mouvement « Goush Emounim » (« Bloc de la foi ») se trouve confortée par l’arrivée au pouvoir de la droite nationaliste incarnée par le parti Likoud (victoire de Menahem Begin en 1977), laquelle accélère l’accaparement des terres arabes et la colonisation.
L’annexion de Jérusalem-Est – c’est-à-dire de la partie arabe de la ville sainte – a été consacrée par la Knesset qui a déclaré- en décembre 1980- Jérusalem « réunifiée » comme « capitale » (« éternelle et indivisible ») de l’Etat d’Israël. La dérive religieuse de l’idéologie sioniste est remarquable: non seulement le mythe du « Grand Israël »- qui s’appuie sur des références bibliques- a phagocyté la conscience collective de la société civile israélienne, mais le poids électoral des colons est devenu crucial dans le système politique du pays, comme l’atteste la nouvelle victoire de Benyamin Nétanyahou aux élections législatives du 17 mars 2015. Ce sionisme tendance nationaliste-religieux se traduit par la colonisation et la « judaïsation » des territoires occupés de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est.
Cette mutation religieuse d’une idéologie nationaliste recouvre aussi un phénomène plus global. Espace d’échange, d’intersection et d’hybridation entre des cultures et civilisations, la Méditerranée est aussi traversée par des lignes de clivage et autres antagonismes. Des courants idéologiques se focalisent sur ces fractures pour mieux les entretenir et les approfondir. C’est ainsi que néo-conservateurs occidentaux et islamistes salafo-djihadistes tentent de réduire la Méditerranée à un théâtre du «choc des civilisations». Les mouvements identitaristes prônent le cloisonnement des cultures, des religions et des civilisations pour mieux raviver les tensions séculaires. Ces crispations identitaires expriment des fractures préexistantes, la résurgence d’épisodes de la mémoire historique pour justifier les visions essentialiste et séparatiste des peuples de la Méditerranée, et tenter de masquer des enjeux géopolitiques plus traditionnels : conquête de territoires, de richesses, du pouvoir.