Le peuple tunisien peut être fier de son exemplarité ainsi que de la reconnaissance par la plus prestigieuse des distinctions internationales, le prix Nobel de la Paix 2015. Jusque-là, la transition politique a gagné le pari; la transition économique, elle, attend encore au dernier rang.
Avec deux trimestres consécutifs de recul du PIB (Produit Intérieur Brut), l’économie tunisienne entre dans le tunnel de la récession technique, plonge dans un climat d’inquiétude et d’incertitude, et renforce les anticipations d’une croissance négative aux troisième et quatrième trimestres de 2015. Alors que l’entrée de l’économie tunisienne dans une récession technique est réelle, certains indicateurs montrent à l’opposé des signes de guérison : taux d’inflation, déficit commercial, investissements étrangers, …! Malheureusement, il s’agit de signes de »fausse guérison ».
L’économie tunisienne vit une situation paradoxale!
En septembre 2015, les prix ont augmenté de 0.3 % ; alors que le taux d’inflation est maîtrisé et se stabilise à 4.2 % pour le troisième mois consécutif. Soyons attentifs et évitons d’être hâtifs pour se réjouir et déclarer que la bête immonde rebrousse chemin et qu’il faut se préparer à une amélioration du pouvoir d’achat, … hélas, il n’en est rien, il s’agit d’une illusion. Certes des efforts sont déployés par le gouvernement pour chasser les circuits de l’économie informelle. Mais à l’opposé, la morosité du climat social et du climat des affaires pèsent sur la demande, atténuant ainsi les pressions inflationnistes. La crise qui frappe le secteur touristique et ses répercussions négatives sur la demande des produits de consommation courante a contribué fortement au plombage de l’inflation corrélée à une surproduction explique la »sagesse » de l’inflation.
Tôt ou tard, les producteurs seront amenés à adapter leurs offres et productions aux nouveaux besoins du marché et un trend haussier de l’inflation verra forcément le jour dans les mois à venir.
… La balance commerciale nous joue un mauvais tour!
Tout porte à croire que les huit premiers mois de 2015 ont enregistré une amélioration sensible du solde commercial et une réduction du déficit de la balance commerciale qui s’élève à 8,6 % pa rapport à la même période de l’année 2014. Malheureusement, ces signes de »guérison déguisée » cachent de mauvaises performances structurelles. Les raisons de l’amélioration de la balance commerciale ne correspondent pas à une situation qui incite à céder à l’optimisme.
Tout d’abord, il est important de rappeler que les performances du secteur agricole, correspondant aux records d’exportations d’huile d’olive multipliant par six le chiffre des recettes de la saison 2013-2014, sont étroitement liées à une bonne saison et à l’accord de l’Union Européenne pour rehausser notre quota d’exportations d’huile d’olive.
De même et concernant nos exportations, c’est plutôt le secteur agroalimentaire qui a sauvé la face avec une nette progression d’environ 120%, ce qui explique la légère hausse de 0.8 %, observée au terme des huit premiers mois de 2015. Cette performance enregistrée par le secteur agroalimentaire aurait pu être nettement meilleure, car hélas, elle a été atténuée par les mauvais résultats enregistrés par le secteur de l’énergie (-50 %), des produits miniers et phosphates (-43 %).
Concernant nos importations, c’est la réduction de la facture énergétique d’environ 21% par rapport à la même période de 2014, conjuguée à la régression des importations des produits miniers et phosphates d’environ 35% qui expliquent les raisons de la régression de la facture des importations.
Les importations des biens d’équipement, considérées comme un indicateur représentatif de la reprise de l’investissement et qui ont enregistré une hausse de 1.8 % pour les huit premiers mois de 2015, reflètent malheureusement de faux espoirs. En effet, ceci est dû essentiellement à l’achat du nouvel avion A330 de Tunisair (270 MD) et qui était prévu dans son plan de flotte depuis 2008 !!! D’ailleurs, on peut facilement remarquer qu’au cours des sept premiers mois de 2015, une nette chute de la facture de l’importation des biens a été observée, et ce n’est qu’au huitième mois de 2015 que la situation s’est rapidement améliorée coïncidant avec le payement de Tunisair de la facture d’acquisition de son nouvel avion, ce qui malheureusement confirmerait le scénario de la récession.
Les investissements étrangers, … le mirage
Malgré la morosité du climat des affaires et la détérioration du contexte sécuritaire après les attentats terroristes du Bardo et de Sousse, les flux d’investissements étrangers à destination de la Tunisie ont »fictivement enregistré une hausse » de 40% au cours des huit premiers mois de l’année 2015 par rapport à la même période de l’année 2014.
Comment se fait-il qu’une amélioration aussi sensible de l’investissement étranger se manifesterait, alors que la Tunisie a perdu 5 places dans le dernier classement de Davos! Est-ce le signe d’une reprise de confiance et d’une amélioration de l’attractivité de la destination de la Tunisie?
Encore une fois, il s’agit malheureusement d’une illusion. Il n’y a pas de réels indices confirmant l’amélioration du climat des affaires, ni une lueur d’espoir de reprise des investissements étrangers, de création de richesses et d’emplois. Les investissements directs ont enregistré une augmentation d’environ 20% marquée essentiellement par la hausse d’environ 35% réalisée par le secteur énergétique… Comment se fait-il alors que la Tunisie n’ait pas attribué de nouveaux permis dans ce secteur? A mon avis, il se peut qu’il s’agisse d’investissements de développement, dont l’objectif est d’accroître les capacités de production, à l’avenir, … bien sûr!
Va-t-on laisser la Tunisie plonger dans le chaos?
Un des défis majeurs reste le démarrage d’une dynamique de réforme dans un climat social instable et politiquement incertain. Plusieurs questions me parcourent l’esprit, parmi lesquelles je cite :
- Comment va-t-on redresser l’économie nationale?
- Comment va-t-on améliorer la compétitivité de l’économie nationale?
- Comment va-t-on renforcer et consolider notre appareil productif par de nouveaux secteurs innovants créateurs de richesses et d’emplois?
- Comment peut-on réaliser tous ces objectifs alors que notre pays est victime d’un phénomène de démission quasi-totale, d’absentéisme et d’irresponsabilité caractérisant le comportement d’une large fraction de citoyens?
- Quand la Tunisie pourra-t-elle bénéficier d’une réforme profonde et sérieuse de son code du travail, de sa fiscalité, de son secteur financier, de son code d’investissement, de son système d’enseignement, de son administration, … sans aucune crainte ni peur du lobbying du syndicat et des milieux d’affaires?
Certes, le processus de réforme sera long et complexe et demande beaucoup de courage, d’audace et de patience, … mais l’attentisme et l’hésitation qui gouvernent la gestion des dossiers les plus brûlants demeureront de indicateurs avancés de notre incapacité à engager cette dynamique de réforme.
Le Prix Nobel de la Paix : peut-il jouer en notre faveur?
L’exemplarité du peuple tunisien qui a donné naissance au dialogue national a permis de combler le déficit de confiance vis à vis de l’opinion internationale. Grâce à cette exemplarité, le Quartet a été couronné par le comité Nobel. Par contre, l’économie nationale, les réformes, les problèmes sociaux, le chômage, etc., attendent toujours avec impatience une solution. Nous devrions être fiers de notre appartenance à la Tunisie pour reconstruire notre pays, les uns à côté des autres. Il n’y a pas de place pour les fausses illusions, lorsque la récession économique frappe à notre porte, lorsque les indicateurs économiques sont au rouge, lorsque le terrorisme envahit note Tunisie.
Dieu merci, le comité Nobel n’a pas considéré (ou ne s’est pas rendu compte !) dans son évaluation de notre réalité économique et sociale amère! Un prix Nobel de la Paix boiteux et privé de la sagesse syndicale et de la citoyenneté du patronat, restera pour toujours et à vie une reconnaissance honorable et historique de la sagesse du peuple tunisien.
Faisons bon usage de cette reconnaissance …
Les départements d’Etat doivent renforcer l’action des délégations diplomatiques et commerciales auprès des ambassades, en lançant une vaste campagne publicitaire pour le tourisme, axée sur cette reconnaissance bien méritée par le peule tunisien, avec un projet multidisciplinaire clair et convaincant : sécurité, qualité du produit, innovation, … en faisant du lobbying et en intensifiant les rencontres avec les milieux influents pour les convaincre de croire en la Tunisie. Il faut aussi engager rapidement les négociations avec les bailleurs de fonds pour alléger la contrainte d’endettement et transformer une partie de la dette en projets de développement en présentant un programme de réforme et de redressement fiable.
Au niveau national, oublions nos différends, nos divergences politiques, idéologiques, sociaux, régionaux et redonnons aux valeurs du travail, d’appartenance et de sacrifices la place qu’elles méritent pour vivre dans la dignité. Passons à l’action plutôt que de rester au stade des intentions et des déclarations. Ensemble, nous tous unis citoyens tunisiens, rendons à l’Etat et à ses institutions leur prestige tant attendu pour faire respecter la loi, avant que les hors-la-loi ne nous imposent la leur.