Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou rencontre lundi à Washington le président américain Barack Obama. La rencontre à la Maison Blanche est la première entre les deux hommes depuis l’accord sur le nucléaire iranien (conclu en juillet dernier) entre six grandes puissances et Téhéran, malgré l’opposition résolue des Israéliens. Paradoxalement, les relations américano-israéliennes ne devraient pas pâtir de cet épisode et de l’animosité qui caractérise les relations personnelles entre Obama et Netanyahou. Preuve en est, l’objet essentiel de leur rencontre porte sur le renforcement de l’aide militaire et financière américaine à leur allié stratégique dans la région du Moyen-Orient. Les logiques de puissance et d’intérêt priment sur le temps court et les facteurs relevant de l’affectif et de l’interpersonnel.
Israël et les Etats-Unis ont noué une sacro-sainte alliance. L’indéfectible relation américano-israélienne est constitutive de sa stratégie en Méditerranée. La sécurité d’Israël est garantie par la première puissance mondiale, pour laquelle il s’agit là d’un impératif catégorique de sa politique étrangère et stratégie de défense. Les indices de ce statut d’exception abondent : Israël est déjà le premier destinataire de l’aide financière, civile et militaire étrangère par tête du budget américain ; au sein du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, les Etats-Unis usent systématiquement de leur veto contre toute proposition de résolutions condamnant les actions israéliennes (colonisation des territoires occupés, violation des conventions de Genève, opérations militaires contre les Palestiniens à Gaza ou contre des voisins arabes, comme le Liban). Aussi l’arbitrage des Etats-Unis est-il jugé partial dans ce conflit.
Israël représente pour les Etats-Unis un allié stratégique pour le libre accès aux gisements pétroliers de la région. Cette relation d’exception s’explique également par l’influence du « lobby pro-israélien » à Washington ( incarné par l’AIPAC ) et par la force de liens immatériels entre deux pays viscéralement attachés à la culture biblique et à la mystique des pionniers. Cette relation d’exception ne tient pas à la seule influence de la communauté juive aux Etats-Unis (moins de 2% du corps électoral), l’essentiel réside dans la conviction que les deux Etats et les deux peuples partagent des intérêts et un destin communs. Or, cette matrice se trouve mise en question au moment où, plus globalement, les Etats-Unis subissent une perte d’influence dans la région.
Pourtant, les relations peuvent se tendre, comme l’attestent les désaccords de fond sur les dossiers iranien et palestinien, désaccords accrus par l’opposition personnelle entre Obama et Netanyahou. Si le leader de la droite nationaliste a entretenu des relations houleuses avec les diverses administrations américaines, ses rapports avec le président Obama ont viré à la confrontation. Quand le premier juge fondamental un compromis avec l’Iran et le règlement d’un conflit qui participe au pourrissement du Proche-Orient, le second fait preuve d’une rigidité dogmatique directement inspirée par une vision biblique du sionisme, celle du Grand Israël. La question palestinienne peut faire l’économie d’une véritable réflexion/solution politique : elle demeure appréhendée en des termes essentiellement sécuritaires. Quant au dossier nucléaire iranien, l’administration Obama s’est employée à tenir les Israéliens à l’écart des négociations sur l’accord-cadre. Fait sans précédent, Benyamin Netanyahou n’a pas hésité à jouer des rapports de forces politiques ( Républicains versus Démocrates ) et institutionnels ( Congrès versus Maison Blanche ) internes. Illustration d’une arrogance mêlée de défiance, le discours du Premier ministre israélien le 3 mars 2015 devant le Congrès américain, sans l’accord préalable de la Maison blanche, a constitué l’une des pires crises dans les relations entre Israël et les Etats-Unis.
Alors que les Etats-Unis d’Obama ont échoué à infléchir de manière décisive les décisions israéliennes (en particulier sur la question cruciale du gel de la colonisation), la défiance israélienne n’a pas remis en cause l’aide financière et militaire exceptionnelle dont bénéficie Israël, pas plus que les efforts de planification stratégique et les exercices militaires communs mis en place par les deux pays. Alors que l’intransigeance israélienne vis-à-vis de la question palestinienne pourrait nuire aux intérêts américains au Moyen-Orient à moyen terme, Obama n’a cessé de réaffirmer la solidarité inébranlable des Etats-Unis avec l’allié israélien. En décembre 2014, Obama a signé une loi de finances qui prévoit une aide militaire de 3,1 milliards de dollars au bénéfice d’Israël. Bien que décrié en Israël, le président démocrate a porté cette assistance à des niveaux inégalés : la coopération militaire et de renseignement entre les deux pays n’a jamais été aussi forte. Les molles tentatives de son administration pour amorcer un dialogue israélo-palestinien se sont heurtées au refus de Netanyahou de limiter la colonisation, sans que Washington réagisse à la hauteur de l’enjeu.
En dehors de mesures cosmétiques ( remplacement d’un ambassadeur à Washington et reprise par Israël du versement à l’Autorité palestinienne de l’argent qui lui appartient ), la divergence entre les deux pays pourrait théoriquement se traduire au Conseil des Nations-Unies par la menace américaine de ne pas recourir à leur veto pour protéger Israël contre une résolution de l’ONU reconnaissant un État palestinien. Pareille hypothèse demeure aujourd’hui une pure fiction. Elle le deviendra d’autant plus lorsqu’Obama aura quitté la Maison Blanche…
Voir Béligh Nabli, Géopolitique de la Méditerranée, Armand Colin, Octobre 2015.