Daech a mis ses menaces à exécution à Paris. Les attaques qui ont frappé la capitale française, haut lieu du monde occidental, se sont soldées par un bilan humain sans précédent (près de 130 morts) au terme d’une opération coordonnée entre la Syrie et la Belgique. Ce terrorisme est global et transnational. L’épisode sanglant ne pourrait être que le premier d’une longue série. En réaction, l’Etat français s’est engagé sur un double front : défensif et sécuritaire sur le territoire national, offensif et interventionniste sur le territoire syrien. Ce front à deux visages traduit le caractère global du djihadisme actuellement à l’œuvre et l’adaptation qu’il nécessite de la part de l’Etat. Du reste, l’articulation des actions intérieures et extérieures n’est pas nouvelle pour la France : le pays était déjà en alerte maximum (six attentats auraient été déjoués depuis le début de l’année) et s’était engagé auprès de la coalition internationale frappant les positions de Daech en Irak et en Syrie. Ce dernier point est essentiel, car au-delà de l’esprit nihiliste et irrationnel qui anime les bras armés de Daech, les derniers attentats à Paris sonnent comme une vengeance contre les opérations militaires françaises lancées en Syrie : « Vous nous frappez en Syrie, on vous frappe en France ». Ce message en forme de loi du Talion est aussi une tentative de chantage de Daech contre la politique étrangère française : « Soit vous cessez votre intervention, soit on continue de vous frapper ». Autant dire que le défi se pose en des termes cruels mais clairs pour les dirigeants politiques comme pour la société civile : l’engagement français en Syrie aura un coût humain sur le territoire national. La vengeance aveugle des actes terroristes vise ainsi à sanctionner et à infléchir les opérations militaires françaises contre les forces djihadistes de Daech basées en Irak mais surtout en Syrie. Ces foyers djihadistes représentent officiellement une menace pour la sécurité nationale. Daech est devenu l’ennemi stratégique premier de la France, et Bachar Al-Assad est placé au second plan de la crise syrienne. Le revirement est spectaculaire et pointe la fragilité de la position jusqu’ici suivie et qui avait amené la France à s’opposer de front à la Russie… elle-même devenue un allié incontournable dans la région comme dans la « guerre contre le terrorisme »…
La participation active de la France au sein de la coalition internationale bombardant les forces de Daech en Irak et en Syrie s’inscrit néanmoins dans un mouvement plus large caractéristique de l’évolution de la politique française au Moyen-Orient : un interventionnisme militarisé inspiré par la matrice idéologique des néoconservateurs. Ainsi, le président François Hollande s’est lancé dans une série de conflits armés, dans lesquels la France se trouve encore militairement engagée, et en reprenant à son compte la rhétorique néoconservatrice de la « guerre contre le terrorisme » qui a été la marque de fabrique idéologique de l’administration de Bush (2000-2008). Des dirigeants politiques et intellectuels français n’hésitent plus à user de cette rhétorique manichéenne et simpliste. Le phénomène est transpartisan et ne concerne pas seulement les mouvements d’extrême-droite. La gauche au pouvoir n’hésite plus à parler d’islamo-fascisme ou à se déclarer engagée dans une « guerre de civilisation »…
Toutefois, l’actuel exécutif français n’est pas l’instigateur de ce tournant interventionniste et néoconservateur. A leur arrivée au pouvoir en mai 2012, les socialistes ont poursuivi la politique interventionniste de Nicolas Sarkozy, dont le quinquennat restera marqué par l’opération en Libye qui a abouti à la chute du régime de Mouammar Khadafi, certes, mais surtout à la diffusion du chaos dans le pays, et au-delà, à la montée en puissance des forces djihadistes dans la région saharienne. La politique étrangère de M. Hollande n’a fait qu’accélérer et qu’intensifier cette ligne directrice, ce tournant, symbolisé par la décision d’intervention militaire française au Mali (12 janvier 2013). Cette stratégie marque une rupture avec la traditionnelle ligne gaullo-mitterrandienne de la diplomatie française, alors impulsée à l’Élysée et mise en œuvre au Quai d’Orsay depuis le début de la Ve République. Même si l’urgence appelle décision et action, la prise de recul devrait amener à instiller une « dose prudentielle » dans la stratégie française, car déclarer vertement la « guerre contre le terrorisme » c’est s’engager dans une guerre permanente, continue, sans fin, dont les ressorts ne sauraient se résumer à une simple donne sécuritaire et militaire…