Didier Charvet, DG d’Orange Tunisie, a été l’invité de notre magazine mensuel Le Manager. Didier Charvet a évoqué la concurrence entre les différents opérateurs, la portablité, la 4G, les investissements d’Orange Tunisie et les perspectives du marché des télécoms en Tunisie. Entretien.
Le Manager : Au vu des derniers changements dans le cadre réglementaire, comment voyez-vous l’avenir du secteur des télécommunications
en Tunisie?
Didier CHARVET : Les autorités de tutelle montrent une volonté d’aller de l’avant, les actions vont dans le bon sens. Cependant cette volonté n’est pas encore complétement concrétisée. Le dégroupage qui n’est pas encore une réalité en Tunisie, ou la portabilité des numéros pourtant essentielle pour assurer une vraie concurrence. On assiste à une bagarre de prix sur le mobile prépayé avec des prix de minute défiant toute logique et des offres promotionnelles qui durent dans le temps.
Quelles sont les limites de cette concurrence ?
Au grand bonheur du client je pense. Tant que c’est rentable pour nous, nous continuerons à faire baisser le tarif minute. Sur le marché tunisien, depuis l’arrivée d’Orange Tunisie, le tarif a baissé sensiblement, et les usages se sont considérablement développés. C’est aussi notre contribution pour la démocratisation du mobile en Tunisie et pour le citoyen tunisien. Mais il faut que cela se fasse entre les acteurs qui investissent en Tunisie et pas avec d’autres acteurs qui profitent seulement des investissements des opérateurs. Ces acteurs utilisent les investissements des opérateurs
sans payer de licence ni de taxe à l’Etat.Le cadre réglementaire en Tunisie doit évoluer afin qu’il puisse régir les activités des Over The Top et assurer une concurrence saine et afin que ces acteurs
investissent en Tunisie.
Plus précisément, quel est l’impact de la portabilité des numéros sur les investissements et sur le churn (migration des abonnés vers d’autres opérateurs) ?
La portabilité des numéros est tout d’abord un droit pour le citoyen tunisien. En effet, ce n’est pas un service accordé ou vendu. La portabilité c’est le droit de tout un chacun de préserver son identité téléphonique. Le numéro ne peut être en aucun cas la propriété ni de l’opérateur ni du régulateur. Nous considérons que la portabilité est un facteur essentiel de la bonne et saine concurrence. L’abonné ne peut être en aucun cas retenu juste par son numéro d’appel. On doit lui permettre de changer d’opérateur en conservant cet élément essentiel qu’est son numéro de téléphone connu et où on peut donc le joindre. Les autorités de tutelle ont fixé la date du 15 avril 2016 pour un lancement commercial de la portabilité. Orange Tunisie sera prêt à la date indiquée. Nous espérons qu’il n’y ait plus de nouveaux retards au niveau de la mise en place de la portabilité.
Quel est l’impact de la 4G sur la qualité du service ? Pensez-vous qu’elle réalisera une pénétration rapide ? Quand estimez-vous qu’elle pourra être rentable ?
La 4G est une évolution technologique qui permet d’avoir un débit plus important mais les connexions mobiles internet restent partagées comme en 3G entre les clients d’une zone donnée, ce qui implique que les risques de saturation peuvent exister en 4G comme en 3G. La 4G permet des débits plus élevés, mais la question de l’utilité d’un débit important pour un client reste posée. D’autant plus que du point de vue du consommateur, il faut avoir le terminal qui sera adapté à la 4G. Actuellement, peu de contenus
ou d’applications nécessitent ces débits importants.
La question de contenus adéquats avec la 4G reste également posée. Les investissements de la 4G sont lourds, la nouvelle expérience client pas toujours perceptible. La question de la rentabilité
que vous évoquez reste fortement dépendante des conditions. Au Maroc, Méditel la filiale du groupe Orange a obtenu une licence 4G pour un montant de 100 MDT environ – Le Maroc a une population 3x plus importante que la Tunisie et dans ces activités entre pays similaires c’est la taille de la population qui fait la taille du marché.
Cela nécessite-t-il des investissements additionnels, et si oui, comment vont-ils être financés ?
Toute évolution technologique nécessite des investissements structurels conséquents. Et bien évidemment ces financements sont apportés par l’entreprise elle-même, par nos actionnaires et nos
partenaires selon un business plan. La 4G reste un investissement lourd pour un opérateur. .
Tout le monde s’accorde à dire que le Data est l’avenir des opérateurs, comment vous positionnez-vous ? Quel type de services offrez-vous ? Quels sont vos avantages compétitifs ?
Orange Tunisie fait partie de l’un des plus grands groupes télécom dans le monde. Depuis son lancement en 2010, l’opérateur a contribué fortement à transformer le paysage du mobile et de l’internet grâce à l’expérience du groupe Orange. Le rapport qualité-prix est essentiel dans notre stratégie commerciale. Cela nous a permis d’atteindre à juillet 2015 plus de 22% des parts de marché de la téléphonie mobile. Nous continuerons à travailler sur l’amélioration de notre, qualité de service et nous poursuivrons une stratégie commerciale au bénéfice du citoyen tunisien. Sur le long terme nous travaillons également sur des offres orientées sur le service et non pas seulement sur les giga octets.
Quid de l’IP TV ?
L’IP TV est la télévision via le protocole IP. C’est un volet qui mérite dès maintenant qu’on lui prépare son cadre légal. Nous pensons qu’en l’état actuel des choses, ce domaine ne peut pas se
développer.
Quelle est la pénétration de la fibre optique ? Pourquoi cette pénétration est-elle si lente ?
Le déploiement de la fibre est un investissement lourd pour un opérateur. Il se situe entre 50 000 DT et 80 000 DT le kilomètre. Depuis notre lancement nous travaillons à étendre notre réseau fibré. Actuellement, les opérateurs tunisiens posent de la fibre aux mêmes endroits. Cela a évidemment un impact sur la couverture fibre de la Tunisie. Nous pensons, comme dans beaucoup d’autres pays développés, que les autorités de tutelle doivent agir rapidement pour éviter la duplication de ces investissements par les opérateurs en facilitant ou en imposant le partage de ces infrastructures.
C’est cela qui permettra de favoriser une extension de la couverture fibre en Tunisie et donc l’accès à la fibre à un maximum de Tunisiens. Le déploiement de la fibre ne pourra pas se faire de
façon efficace si le dégroupage qui permet également à tous les opérateurs d’utiliser les infrastructures cuivre existantes n’est pas une réalité.
Le prix de la fibre optique est-il amené à être révisé pour qu’elle soit plus compétitive ?
Les coûts de l’installation de la fibre sont élevés. L’installation elle-même prend naturellement un certain temps vu les chaussées à creuser et à remettre en état par exemple. Nous avons la volonté
réelle de concentrer nos investissements sur cette partie de notre activité. Notre évolution en dépend.
Envisagez- vous des initiatives de Ran sharing comme celle de Zaghouan ?
Oui, nous souhaitons participer !
Comment appréciez-vous le rôle du régulateur?
Notre régulateur vient d’être sacré meilleur régulateur africain au salon Africa Telecom People. Cependant, nous pensons qu’un renforcement de ses ressources est nécessaire étant donné la complexité des sujets à traiter. Nous pensons aussi que le cadre réglementaire a besoin d’évoluer afin de faciliter le travail de notre régulateur au quotidien.
Quelles sont d’après vous les solutions pour maintenir le développement du secteur ?
La portabilité des numéros et le dégroupage ont beaucoup tardé à être mis en place et ne sont pas une réalité aujourd’hui. Il est impératif de les appliquer afin de permettre l’évolution et le développement du secteur. Le partage d’infrastructures, en particulier de la fibre doit aussi être mis en place rapidement. Un travail sur le contenu doit aussi être mené en Tunisie afin de renforcer ce domaine et ouvrir de nouvelles perspectives d’emplois aux Tunisiens. Nous avons nous-mêmes participé à cela à travers la création de l’écosystème du développement mobile en Tunisie avec notre Programme Développeurs depuis 2010. Nous avons formé en 5 ans près de 6000 ingénieurs au développement mobile sur tout le territoire tunisien à travers des
formations dans les universités et du coaching au sein d’Orange Developer Center.
Y a-t-il de la place pour de nouveaux opérateurs?
Avec une pénétration de la téléphonie mobile de plus de 129% et 14 millions 500 mille lignes mobiles, le marché est en sursaturation. Il nous semble difficile qu’un nouvel opérateur puisse s’installer durablement et efficacement sur le marché tunisien. les autorités de tutelle doivent agir rapidement pour éviter la duplication de ces investissements par les opérateurs en facilitant ou en imposant le partage de ces infrastructures. C’est cela qui permettra de favoriser une extension de la couverture fibre en Tunisie.