A la suite du limogeage du PDG de la télévision nationale par le chef du gouvernement tunisien, ART 19 et Reporters sans frontières ont exprimé, dans un communiqué commun publié hier, leur profonde inquiétude et dénoncent une détérioration de la situation de la liberté d’expression et de l’information en Tunisie.
Notons que dimanche 15 novembre, à la suite de la diffusion, lors du journal télévisé de la veille des images du jeune berger Mabrouk Soltani décapité par des terroristes dans la région de ‘’Slatneia’’ (gouvernorat de ‘Sidi Bouzid’), M. Mustafa Beltaief, président directeur général (PDG) de la télévision nationale depuis juin 2014 a été limogé par téléphone, par le chef du gouvernement, M. Habib Essid.
ART19 et RSF sont extrêmement préoccupés par les conditions de ce limogeage ainsi que par la nomination d’un nouveau PDG par intérim. Ce dernier a en effet été désigné sans que la Haute autorité indépendante de communication audiovisuelle (HACA) ni les acteurs du secteur ne soient consultés. Or, le rôle consultatif de l’autorité de régulation indépendante est expressément défini dans ce cas par le décret-loi n° 116-2011.
« L’ingérence du pouvoir exécutif dans le secteur médiatique au mépris des obligations légales de consultation de l’autorité indépendante de régulation constitue une évolution dangereuse et une restriction inacceptable du droit à la liberté d’expression et d’information », a déclaré Saloua Ghazouani, directrice d’ARTICLE 19 – Tunisie.
Cette décision unilatérale a été suivie par des déclarations affligeantes du ministre de la Justice par intérim, publiées le 17 novembre. Celui-ci a annoncé avoir autorisé la poursuite de toute personne responsable de la diffusion des images du berger décapité et ce en vertu de l’article 31 de la loi organique n° 2015-26 du 7 août 2015 relative à la lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent et de l’article 23 du code de procédure pénale.
« Ces mesures visent clairement les journalistes et constituent ainsi une atteinte grave à la liberté de l’information, déclare Yasmine Kacha, responsable du bureau Maghreb de RSF.La sécurité juridique des acteurs de l’information est garantie par le DL-n°115 relatif à la liberté de la presse, seul référent juridique devant être reconnu par les magistrats tunisiens dans les poursuites contre les journalistes ».
ARTICLE 19 et RSF avaient déjà souligné que la terminologie excessivement vague de l’article 31 de la loi n’était pas compatible avec le droit international de la liberté d’expression. Les dispositions de cet article créent ainsi des obstacles considérables pour les journalistes couvrant l’actualité relative aux activités terroristes, ou voulant critiquer l’action du gouvernement en matière de lutte contre le terrorisme. A ce sujet, il est essentiel de rappeler que le 8ème point des Principes de Johannesburg stipule expressément que ‘’l’expression ne peut pas être empêchée ou punie simplement parce qu’elle transmet une information provenant ou à propos d’une organisation qu’un gouvernement a déclaré menaçante pour la sécurité nationale ou pour toute autre raison ayant un lien avec la sûreté nationale’’.
ARTICLE 19 et RSF admettent que la diffusion de ces images peut constituer une faute professionnelle et un manquement aux règles déontologiques. Cependant, la sanction de cette faute ne nécessite aucunement l’interférence des pouvoirs publics. En outre, celle-ci ne peut adoptée que conformément aux dispositions du décret-loi n° 2011-115 relatif à la liberté de la presse, de l’impression et de l’édition.
« Le respect des procédures constitutionnelles et légales s’impose dans une société démocratique. A défaut de respecter l’état de droit, le limogeage du PDG de la télévision nationale par le pouvoir exécutif et l’ingérence des pouvoirs publics dans l’appréciation de la responsabilité professionnelle des journalistes ouvrent la voie à l’arbitraire et sont de nature à saper la confiance du public envers ces institutions », lit-on dans le même communiqué.
Mépriser le rôle légal d’un régulateur indépendant dont l’existence est consacrée par la Constitution et l’efficacité reconnue par tous, est très dangereux. Nier l’existence de la HAICA revient à nier le travail accompli par cette institution, son évolution ainsi que l’évolution de la régulation démocratique du secteur médiatique depuis 2011.
Et d’ajouter que ces décisions du gouvernement révèlent la nécessité que les chaînes nationales ont de devenir des médias de service public doté d’un statut qui garantisse une gouvernance démocratique.