L’attaque hier contre la garde présidentielle confirme encore une fois de manière sanglante l’intention de l’hydre terroriste de quitter les montagnes pour s’installer dans les villes où, visiblement, elle vise indistinctement aussi bien les civils que les forces de sécurité.
A ce changement de stratégie des terroristes doit répondre un changement de stratégie de l’Etat qui, jusqu’à présent, fait preuve plus de mollesse que de fermeté, de négligence et de laisser-aller que de détermination à appliquer la loi.
Après le 14 janvier 2011, l’Etat avait quelques raisons de se montrer hésitant, indécis et incapable de maîtriser la situation. Le déficit de légitimité de l’autorité politique a été exploité par une multitude de forces centrifuges et même par de simples citoyens qui agissaient en marge de la loi.
Le règne désastreux de la troïka, par une combinaison explosive d’incapacité, d’inexpérience et de complicité, a aidé grandement le terrorisme à s’installer dans le pays. Inutile de revenir encore sur cette page noire de l’histoire du pays qui, du reste, a été largement et suffisamment analysée et commentée.
La grande déception vient de l’autorité issue des dernières élections législatives et présidentielle. On se rappelle de l’enthousiasme et de la mobilisation des citoyens qui ont fait la queue pour déposer leur bulletin de vote dans l’espoir de mettre fin à la période transitoire et de doter le pays d’institutions étatiques légitimes qui prendraient en charge les affaires du pays et appliqueraient enfin la loi.
Il est normal que des forces qui, pendant quatre ans, ont prospéré grâce à la violation systématique de la loi, tentent aujourd’hui de préserver par tous les moyens des intérêts illégalement accumulés. Il est normal que des organisations terroristes qui ont jeté l’ancre dans le pays en profitant de la faiblesse de l’Etat tentent de profiter encore de cette faiblesse sans laquelle elles n’auraient pas fait les ravages qu’elles ont pu faire jusqu’à ce jour.
Mais ce qui n’est pas normal, c’est qu’une autorité politique issue d’élections régulières et transparentes se comporte comme si elle est nommée par des forces obscures ou imposée au peuple par un complot mystérieux. Nous avons cru avoir enfin doté notre pays d’un Etat fort et déterminé à appliquer la loi, nous nous sommes retrouvés avec un Etat-spectateur.
Cet Etat, pourtant parfaitement légitime et disposant du soutien de la majorité des citoyens et de la majorité des forces politiques, n’a résolu aucun des grands dossiers dont la non résolution continue d’entraver la marche du pays et de prendre en otage son économie.
Prenons l’économie parallèle. Il n’est pas demandé aux nouvelles autorités de nettoyer du jour au lendemain le pays de ce fléau, mais de montrer au moins des signes qu’elles commencent à prendre le taureau par les cornes. Or, il n’en est rien. Dans les grandes villes, les citoyens ont été expulsés des trottoirs colonisés par des « commerçants-bandits », exposant une incroyable variété de marchandises dont on ne sait ni d’où elles viennent ni où vont les bénéfices.
Prenons les organisations non gouvernementales. Les dernières statistiques parlent de 17000 organisations dont une infime minorité travaille dans la transparence et en conformité avec la loi.
Une multitude d’organisations, profitant de l’attitude spectatrice de l’Etat, s’adonnent à des activités pour le moins douteuses et bénéficient de réseaux de financement occultes qui échappent totalement au contrôle de la Banque Centrale et du ministère des Finances. L’une des premières décisions d’un Etat fort de sa légitimité et du soutien populaire aurait dû être la suspension immédiate de l’activité de toutes les organisations qui refusent la transparence et la conformité avec la loi. Mais la chance de ces organisations est qu’elles se trouvent face à un Etat-spectateur.
Prenons la question religieuse. Quel message veut adresser l’Etat quand le ministre des Affaires religieuses prend la décision de démettre un imam extrémiste et le chef du gouvernement suspend l’application de la décision? Quelle image veut donner cet Etat de lui-même quand il se montre incapable d’appliquer la loi sur une centaine de perturbateurs qui, plusieurs semaines de suite, empêchent les fidèles d’accomplir sereinement la prière du Vendredi?
Sur un autre registre, que fait l’Etat face aux énergumènes qui continuent pour un oui ou pour un non à couper les routes, à s’opposer à la liberté du travail, à occuper les lieux publics, à refuser les nominations de hauts fonctionnaires? Rien. Il regarde, tout en se demandant peut-être dans son fort intérieur, comme l’a fait publiquement un certain Hamadi Jebali : « Où est le gouvernement? »
Il n’est pas étonnant dans ces conditions que le terrorisme s’enhardisse, quitte ses grottes montagneuses et vienne frapper au cœur de la capitale l’un des plus importants piliers de la sécurité du pays. Puissent les martyrs et les blessés de la Garde présidentielle servir d’électrochoc suffisamment puissant pour que l’Etat légitime chargé de diriger et protéger le pays se transforme de spectateur passif et inhibé en acteur puissant, dynamique et impitoyable avec les hors la loi.