Face à l’expansionnisme de Daech, deux blocs d’alliés ou coalitions d’Etats se sont formés dans la région du Moyen-Orient, laissant poindre une possible reconfiguration de l’ordre mondial.
D’un côté, une coalition arabo-occidentale réunissant une soixantaine d’Etats- en appui aux peshmergas kurdes et aux forces gouvernementales irakiennes- s’est mise en place en août 2014 pour combattre l’organisation djihadiste en Irak puis en Syrie. Leur stratégie repose sur l’envoi de conseillers et de formateurs militaires, mais surtout par des frappes aériennes (américaines essentiellement) ciblées. En plus d’un an de campagne, le bilan de la stratégie occidentale de bombardements (essentiellement assumée par les forces aériennes américaines) est contrasté. Si les forces armées de Daech ont été stoppées dans leur avancée, Daech peut encore se targuer de contrôler des pans entiers des territoires irakien et syrien.
De l’autre, Daech fait face à une autre coalition, celle des alliés du régime de Bachar Al-Assad, incluant les chiites iraniens et du Hesbollah libanais. Moscou a basculé du simple soutien diplomatique au régime syrien à l’intervention militaire directe : sa campagne de bombardements lancée fin septembre vise surtout l’opposition modérée au régime.
Le crash d’un Airbus russe le 31 octobre dernier en Egypte et les attentats du 13 novembre à Paris- tous deux revendiqués par Daech- ont-ils changé la donne? Ces évènements ouvrent-ils la voie à une coalition unique anti-Daech? Le 20 novembre, le Conseil de sécurité des Nations unies a voté, sur proposition de la France, une résolution autorisant « toutes les mesures nécessaires » pour lutter contre Daech, qualifiée de « menace mondiale et sans précédent contre la paix et la sécurité internationales ». Surtout, l’idée d’une coalition internationale élargie et unique – avec une stratégie commune contre Daech- s’est développée. Le président français François Hollande s’est fait le porte-parole de cette ambition. Sa tournée diplomatique hors norme s’est heurtée néanmoins à des obstacles non négligeables, même si des rapprochements substantiels sont à signaler avec le Premier ministre britannique David Cameron et surtout le président russe Vladimir Poutine. Ainsi, les Occidentaux admettent désormais que le départ de Bachar al-Assad ne peut pas être un préalable aux négociations en vue de la transition politique syrienne. Le sort du président syrien est devenu secondaire par rapport à la lutte contre Daech. Concrètement, c’est Daech- et non pas par Bachar el-Assad- qui se montre belliqueuse à l’endroit de l’Occident comme de la Russie. L’organisation constitue une menace qui en fait un ennemi stratégique. Cette évolution ne vaut pas réhabilitation de Bachar el-Assad pour autant aux yeux des Etats-Unis comme de la France…
En pratique, la réalisation d’une grande coalition demeure illusoire tant la méfiance continue de régner dans les relations entre les Etats-Unis et la Russie. En fait, à défaut de véritable coalition unique avec un état-major commun, le rapprochement russo-occidental devrait permettre une meilleure coordination et coopération tant dans le domaine du renseignement que dans le ciblage des frappes militaires aériennes. L’efficacité du combat contre le groupe djihadiste est à ce prix.
Pour autant, on reste loin d’un scénario de grande coalition internationale intervenant au sol pour combattre et déloger Daech des territoires que l’organisation occupe aujourd’hui au Levant, entre la Syrie et Irak. Et pour cause. Outre le coût humain et financier d’une telle intervention militaire, les Occidentaux s’interrogent avec raison sur son opportunité historique et symbolique. Non seulement elle risquerait de conforter le discours manichéen des djihadistes– qui se réfèrent à la confrontation entre Croisés et soldats du Croissant-, mais elle s’inscrirait dans une histoire récente déjà marquée par des interventions dans la région de coalitions internationales menées par les armées occidentales.
Ainsi, après l’invasion en août 1991 de l’émirat du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein, une coalition internationale (comprenant plusieurs pays arabes, en particulier les pays du Golfe membres de la Ligue arabe plus la Syrie, l’Egypte et le Maroc) menée alors par le gendarme de la région- les Etats-Unis- et sous l’égide de l’ONU (résolution 687 du Conseil de sécurité) a lancé une offensive qui libère le territoire koweïtien et envahit une partie du territoire irakien, mais sans aller jusqu’à Bagdad, ni renverser le régime de Saddam Hussein. Cette étape sera franchie par un autre président Bush, lorsqu’en 2003 les Etats-Unis décident d’envahir l’Irak avec l’appui d’une coalition dépourvue de tout mandat de l’ONU. Le retrait des troupes américaines à la fin 2011 a laissé un Etat quasi failli et une société meurtrie, toujours en quête de stabilité et de sécurité, frappée par des conflits internes et la montée du djihadisme islamiste. Les Irakiens et les habitants de la région payent encore le prix de cette aventure meurtrière qui a enfanté Daech.