Comme chaque année la Semaine de l’artisanat se déroule du 17 au 19 décembre.
Cette petite industrie vient de nous rappeler qu’elle est loin d’être enterrée et reprend des couleurs. C’est avec cet esprit là, que l’Office national de l’artisanat, situé à Denden, organise trois journées B toB, ayant pour thème « Cadeaux d’entreprises« , à la galerie d’exposition de l’ONA.
Ils sont 40 artisans créateurs qui détiennent un savoir-faire rare de nos jours. Et pourtant, les métiers de l’artisanat connaissent des difficultés, mais certains métiers remontent la pente, d’autres non. Ils sont nombreux à témoigner qu’ils exercent ce métier par passion, comme c’est le cas de Mohamed Njeh, plasticien designer depuis 30 ans. Agé de 66 ans, il trace son parcours, en précisant: « J’ai commencé à partir de rien, j’étais fils de pêcheur, je suis arrivé à Tunis avec seulement 12 dinars en poche. A partir de rien, je vis aujourd’hui grâce à ce métier d’art« .
Il poursuit: « Le prix de ce que nous réalisons varie entre 10 et 100 dinars la pièce. Ce sont des modèles uniques. Quand je résume mes 30 ans d’expériences, je me rappelle que dans les années 70, quand on exposait de la tapisserie, on vendait la totalité, maintenant ce n’est plus le cas. Avant l’Etat nous encourageait et achetait nos produits, on voyait nos œuvres exposées aux ministères, où sont-elles? »
Et d’ajouter: « Aujourd’hui, nous sommes face à des difficultés énormes. Je prends l’exemple du sud tunisien. Des femmes qui tissent toute une journée et n’arrivent même pas à gagner 100 dinars par mois. C’est malheureux de le dire, mais c’est la réalité. Il faut restructurer le secteur, on ne voit aucune stratégie claire ».
« Regardez, il y a une dizaine d’années, nous étions les premiers au Maghreb, et nous étions en compétition à l’échelle internationale. Maintenant allez voir les stands de la Tunisie, c’est ridicule, un stand de 40 à 50m², contrairement au Maroc qui a des stands de 300m², voilà la différence », déplore-t-il.
Selon lui, cette exposition devrait se faire plus souvent et non une seule fois par an. Son souhait est simple, l’artisanat doit revivre dans le monde entier. « On a réalisé des merveilles dans ce secteur, on était au même niveau que d’autres pays occidentaux. On a réalisé des produits pour de grandes marques à Paris, j’ai exposé à New York aux Etats-Unis, (2010). A l’échelle mondiale, nous avons notre propre empreinte. Où sont les encouragements ? Vous savez, les jeunes diplômés ne trouvent pas d’emploi« , dit-il.
L’engagement d’Azouz Kahia, fabricant de chéchias depuis 30 ans, nous confie: « Beaucoup la portent, entre autres ceux qui s’attachent aux coutumes, et d’autres qui veulent renouer avec la tradition. Ils sont nombreux à vouloir conserver notre empreinte à nous, c’est notre chéchia à la tunisienne ».
Pour lui, les temps sont durs, il déclare: « Certes, nous enregistrons des demandes moyennes, ce n’est plus la belle époque, où tout le monde portait la chéchia. Mais les temps ont changé. Maintenant on expose des chéchias pour femmes, il faut bien suivre la mode. Nos prix varient entre 15 et 25 dinars. Cela dit, il y a une grande différence entre avant et aujourd’hui. Nous n’avons plus malheureusement de main-d’œuvre, je ne comprends pas. Je pense que les jeunes ne s’intéressent plus à leur patrimoine, ils n’ont plus cette patience, ils veulent tout, tout de suite. Vous savez, mon métier je le tiens de mon père, de génération en génération. Il y a un réel manque de communication. Ces jeunes ne savent pas qu’à partir de rien, on peut créer des merveilles, des abat-jours, des lustres… »
« Pour un jeune, quand on lui parle de l’artisanat, il pense chéchia, jebba, zarbia ( tapis)… Il faut qu’il y ait un dialogue avec eux. Cela fait 30 ans que j’exerce ce métier, quand j’ai grandi, j’aimais ce que je faisais. Pour moi la chéchia, en un mot, c’est le sang qui coule dans mes veines », indique-t-il.
Bien que ce secteur soit menacé de disparition, certains veulent l’innover, comme fut le cas par exemple de Miriam Triki, artiste plasticienne, céramiste et designer depuis 2004, en soulignant : « J’expose le fruit d’une dizaine d’années. Je travaille sur le concept du développement durable. J’essaie de travailler sur la protection de l’environnement et en même temps sur la création artisanale. Je me suis dit pourquoi ne pas réutiliser les produits cassés et faire de la création, pourquoi ne pas encourager les gens à voir les choses autrement ».
Elle ajoute : « J’ai commencé par l’expérience des carreaux, de céramiques cassées, je les ai récupérés et j’en ai fait des mosaïques de céramique, des objets de décoration, je voulais me lancer dans d’autres expériences. Prenons l’exemple de la fouta que j’ai voulu présenter autrement. A travers ce que je fais, mon message est: la Tunisie est présente là où on la représente que ce soit ici ou ailleurs. J’essaie de rester positive, malgré la crise économique que nous traversons. Si on a la collaboration de tout le monde, les choses iraient bien mieux ».
Pour Eya Ferdaouss, ce métier ne lui était pas prédestiné. Elle est ex-étudiante en biologie, un mastère en neuro-physiologie. Elle partage son expérience: « Au début, j’aimais tout ce qui est artisanal, puisqu’il s’agit de notre patrimoine et nos valeurs avant tout. Cette passion, je l’ai apprise de ma grand- mère, le savoir-faire, les techniques, et puis j’ai toujours eu des goûts artistiques. Avant, je faisais ça pour moi, après j’ai élargi le spectre, entre chéchia houlli, rihana et à travers ce que je fais, j’essaie d’alterner entre le moderne et l’ancien pour le néo-artisanat qui va avec les jeunes, tout ce qui relève du fashion. J’étais à fond dans la création, j’ai beaucoup de patience et de passion pour ce métier ».
« Mon message est le suivant : il ne faut surtout pas baisser les bras, parce que moi j’ai commencé à faire ce métier quand il y avait le chaos. Ma devise dans la vie : il faut toujours croire en soi, croire à ce petit quelque chose, car tout est possible. Quand je crée des pièces uniques, vous pouvez sentir de la recherche dans chacune des pièces », conclut-elle.
Ce précieux savoir-faire va de pair avec l’innovation, le patrimoine. Il faut un tout pour conserver ce que nous avons depuis des décennies, voire même des siècles. »