L’un des paradoxes les plus saisissants aux Etats-Unis est que le pays le mieux protégé du monde est aussi victime de la plus grande attaque terroriste dans l’histoire de l’humanité qui, le 11 septembre 2001, avait fait 3000 victimes en quelques minutes. A part ce drame d’envergure, les Etats-Unis étaient, avant le 11 septembre 2001, et sont restés après cette date, le pays le mieux protégé du monde.
Cette protection, le pays la doit aux deux plus grands océans de la planète qui le bordent à l’est et à l’ouest ; aux deux pays voisins avec lesquels les Etats-Unis entretiennent des relations paisibles, le Canada au nord et le Mexique au sud ; à l’armée la plus puissante du monde ; aux services de sécurité intérieure omniprésents et omnipotents, aux agences de renseignement efficaces etc.
Cela ne veut pas dire que les Etats-Unis ne sont pas menacés. Leur politique étrangère impitoyablement agressive leur a fait et continue de leur faire de nombreux ennemis. La chance des Américains est que tous leurs ennemis qui désirent ardemment se venger du mal qui leur est infligé par la politique étrangère américaine et l’US Army sont incapables de franchir les immenses barrières naturelles et les efficaces barrières humaines qui veillent à la sécurité de l’Amérique. La preuve en est que depuis le 11 septembre, les attaques terroristes perpétrées sur le sol américain se comptent sur les doigts d’une main et le nombre des victimes est insignifiant comparé aux ravages faits dans la population par le déferlement ahurissant des armes à feu ou par les accidents de la route par exemple.
Pourtant la peur qui sévit aujourd’hui dans le pays n’est suscitée ni par la libre possession d’armes à feu ni par l’hécatombe des routes, mais par le terrorisme. Si l’on en croit John Mueller et Mark Stewart, deux experts en matière de sécurité, cette peur frise l’hystérie. Selon eux « les dépenses sur la sécurité intérieure (qui n’incluent pas les guerres d’Irak et d’Afghanistan) ont augmenté d’un trillion de dollars (1000 milliards de dollars) depuis le 11 septembre, bien que le risque pour un Américain de mourir aux Etats-Unis dans une attaque terroriste soit de 1 sur 4 millions ».
Il semble que si l’Etat fédéral américain a toujours besoin d’un ennemi d’envergure (après l’Union soviétique, le terrorisme) pour justifier les budgets militaires faramineux et l’aventurisme militaire à l’étranger, le peuple américain a intériorisé pendant des décennies la peur du communisme qu’il a vite remplacée par la peur du terrorisme. Ecoutons encore les deux experts : « Les Américains semblent avoir intériorisé leur peur du terrorisme et les politiciens et les décideurs sont devenus convaincus qu’ils ne peuvent défier cette peur qu’à leurs risques et périls. L’inquiétude de paraître mou avec le terrorisme a remplacé l’inquiétude de paraitre mou avec le communisme…Cette réaction à la menace terroriste extraordinairement exagérée et délirante pourrait se perpétuer. »
Cette situation de peur non-stop et d’alarmisme perpétuel a commencé avec l’apparition du communisme au début du siècle dernier et continue de manière amplifiée avec l’apparition spectaculaire du terrorisme au début de ce siècle. Les politiciens, les bureaucrates, les patrons des grands médias et, bien sûr, les industriels de l’armement ont fini par profiter de cette situation extrêmement avantageuse. Car elle permet aux politiciens d’avoir plus de pouvoir, aux bureaucrates plus d’argent public à dépenser, aux médias plus d’influence et plus de profits. Quant au jackpot, il revient au complexe militaro-industriel, celui là même contre lequel le président Eisenhower avait mis l’Amérique en garde dans son discours d’adieu de janvier 1961.
Non seulement la mise en garde d’Eisenhower n’avait pas été prise en compte, mais le complexe militaro-industriel est devenu une gigantesque constellation de firmes et de think-tanks va-t-en-guerre qui vendent chaque année une quantité d’armements et de services qui se chiffrent en centaines de milliards de dollars.
Au siècle dernier, le communisme était pendant de longues décennies une manne du ciel pour le complexe militaro-industriel. Aujourd’hui, le terrorisme constitue une nouvelle manne du ciel autrement plus généreuse, car avec cette « guerre globale » menée contre lui, les pays font la queue pour passer leurs commandes au complexe militaro-industriel.
Les choses étant ce qu’elles sont, il n’est pas difficile de comprendre qu’aux Etats-Unis ni les magnats de l’industrie de l’armement, ni les décideurs n’ont vraiment intérêt à ce que le terrorisme soit vaincu. Il permet aux premiers d’engranger des bénéfices vertigineux, et aux seconds d’avoir la bride sur le cou et d’agir comme bon leur semble au Moyen-Orient et ailleurs, grâce à la peur qui produit des citoyens inhibés.
S’étonnera-t-on alors qu’après un an de « bombardements » des forces terroristes de Daech par une coalition de 60 pays, l’ « Etat islamique » en soit sorti revigoré?