Dans une chronique datée du 21 décembre et intitulée « Daech et son allégeance à l’organisation mondiale sioniste », M. Chiheb Ben Ahmed estime que « le terrorisme Takfiriste, le Wahhabisme, Daech, Al Nosra, …, contrairement à leurs slogans religieux, ne visent qu’à servir les intérêts d’Israël via le sionisme et ses fidèles protecteurs et traîtres. Les trois objectifs les plus importants de cette mise en scène [consistent à] : Renverser et déraciner l’Etat syrien, le noyau dur de la résistance antisioniste ; Mettre à genoux le monde arabo-musulman pour conforter la domination sioniste ; Répandre l’islamophobie et attiser l’animosité contre l’Islam, une nouvelle conception véhiculée servant à remplacer le sionisme par l’Islam [ ?] (…) C’est un complot mûrement réfléchi qui correspond parfaitement aux objectifs de l’entité sioniste ». Le propos laisse perplexe et dubitatif.
Certes, non seulement la politique israélienne à l’égard des Palestiniens contribue à l’instabilité régionale, mais l’Etat israélien trouve un intérêt dans l’implosion de deux grands Etats arabes (la Syrie et l’Irak), symboles de l’idéologie baâthiste antisioniste. Il n’empêche, Daech n’est pas la créature d’Israël, mais le produit de trois phénomènes qui tendent à se nourrir mutuellement.
Il s’agit d’abord d’un phénomène idéologique, l’islamisme djihadiste, mû par un objectif politique : la réalisation d’un Etat islamique (le Califat) fondé sur la charia et une lecture rigoriste du Coran. Sa pensée radicale légitime le recours à la violence et l’appel à la « guerre sainte ». Une « théologie de guerre » (François Burgat) qui « justifie » le terrorisme islamiste dans le monde arabe et au-delà. Il n’y a jamais eu autant de djihadistes dans le monde. Telle est la conclusion d’un rapport de l’ONU daté de mars 2015 et présenté aux États membres du Conseil de sécurité. Sur les 25 000 combattants étrangers recensés par les experts des Nations unies, un très grand nombre sont partis rejoindre les rangs de Daech en Irak et en Syrie.
Daech est ensuite un produit de l’intervention/invasion anglo-américaine en Irak (2003). Cette expédition militaire initiée sans l’aval de l’ONU fut motivée par l’accès à l’or noir irakien, mais aussi et surtout par la vision néoconservatrice dominante au sein de l’Administration Bush, suivant laquelle le monde serait partagé entre le « bien et le mal », la « démocratie » devant s’imposer y compris par la force. L’invasion, puis l’occupation ont semé un chaos dantesque avec près de 500.000 morts irakiens, des millions de réfugiés, le départ de plus des 3/5e des chrétiens irakiens présents depuis deux mille ans sur fond de guerre confessionnelle et l’affirmation du djihadisme salafiste. Le retrait des troupes américaines (fin 2011) a laissé un État fragilisé et une société meurtrie, toujours en quête de stabilité et de sécurité.
Une société dont la double fracture ethnique et confessionnelle s’est propagée dans le système politique et institutionnel, sans apaiser les tensions entre sunnites et chiites entre Arabes, Kurdes et Turkmènes. Derrière l’exécutif bicéphale incarné par le président (kurde) Jalal Talabani et le Premier ministre Nouri Al-Maliki, le pouvoir dans l’Irak post-Saddam est caractérisé par la marginalisation des sunnites en faveur des chiites (évolution prolongée par un rapprochement stratégique avec le voisin iranien).
La décision américaine de dissoudre l’armée irakienne en 2003 a lâché nombre de cadres militaires dans la nature. Certains d’entre eux ont investi le djihadisme islamiste pour combattre l’armée américaine, puis le nouveau pouvoir central chiite. Le Premier ministre (chiite) Nouri Al-Maliki porte une lourde responsabilité dans la situation actuelle au regard de son incapacité à nouer un quelconque dialogue avec les populations sunnites du pays. La marginalisation de ces dernières et la répression des sunnites syriens par le régime de Bachar al-Assad ont nourri un ressentiment et une radicalisation propices à l’expansion de Daech.
Car enfin, la principale source de la dynamique djihadiste n’est pas d’ordre militaire mais politique : Daech répond à une demande ou du moins comble un vide, car les communautés sunnites se sentent exclues du pouvoir central irakien et syrien « confisqué » par les chiites. Non seulement l’organisation djihadiste a établi un ordre juridique, administratif et politique sur les territoires qu’elle contrôle, mais cette autorité tente d’incarner un « pouvoir sunnite » dans une région où l’Iran tend à développer son influence. Il faut donc briser les ressorts du « soutien populaire » dont peut se targuer Daech, en permettant aux sunnites de réintégrer le système politique en Irak et en Syrie.
Pour conclure, il est temps que les dirigeants comme les peuples arabes assument leur part de responsabilité et prennent leur destin en main. Certains ont décidé d’emprunter cette voie difficile et périlleuse, celle de l’émancipation. C’est la voie à suivre.