Un remaniement ministériel, pour quoi faire ? Sans doute pas pour sacrifier à l’air du temps, ou pour capituler sous la pression du microcosme politique, jamais rassasié du changement d’équipe gouvernementale. Il y a bien évidemment d’autres raisons plus objectives pour expliquer ou justifier le remaniement qui se prépare.
D’ailleurs, le chef du gouvernement n’a jamais fait mystère de son intention de s’y résoudre, s’il s’y sent contraint ou poussé par le manque de réussite ou de cohérence de tout ministre, qui ne peut revendiquer un contrat gouvernemental à durée indéterminée. La fonction n’a pas que le prestige et des faveurs, qu’affectionnent certains ministres. Il y a aussi le revers de la médaille : le contrat de travail peut être dénoncé et rompu, à n’importe quel moment, d’un côté comme de l’autre. Il arrive même que la compétence ne soit pas mise en cause, si les préoccupations et les priorités du moment venaient à changer. A nouvelle situation, nouveau profil ministériel. C’est de bonne gouvernance.
Le gouvernement Habib Essid, né de tractations difficiles et ardues, n’est pas loin de boucler sa première année. Le chef de l’Exécutif peut dresser un premier bilan de l’action de ses ministres, de leur capacité de faire bouger les lignes et faire avancer le pays, fatigué, désenchanté, désappointé par 4 années d’incurie poli¬tique, d’agitation sociale et de désordre économique.
Tous les détenteurs de portefeuille ministériel ne sont pas habités par la fonction. Certains, et ce n’est un secret pour personne, manquent de métier, d’étoffe et d’envergure, au point qu’en plus de dix mois d’exercice, ils n’ont pu progresser et moins encore se surpasser. Dans bien d’officines ministérielles, les résultats – sur le terrain tout au moins – ne plaident pas pour leur maintien. On ne tardera pas d’ailleurs de savoir pour qui sonnera le glas. Nous serons alors édifiés sur la nature et les chances de réussite de la prochaine formation gouvernementale que conduira de nouveau Habib Essid.
S’il ne faut s’en prendre, dans ce remaniement, – ne serait-ce que prioritairement – aux indépendants, sans affiliation partisane ni soutien de quelque nature que ce soit, cela revient à conforter le régime des partis d’une deuxième République, qui ne semble pas vouée à l’éternité. L’autorité du chef du gouvernement n’en sortira pas renforcée. D’un autre côté, il lui sera difficile de résister aux assauts des partis de la coalition, à leurs pressions peu discrètes, à leur convoitise et à leur soif du pouvoir. Le premier parti de l’alliance, autrefois conquérant, sûr de lui et dominateur, est aujourd’hui au bord de l’implosion, miné par des guerres fratricides. Fragilisé comme il l’est, on l’imagine moins influent. Au grand bonheur de son allié, et néanmoins rival, Ennahdha, qui rêve d’un rôle accru à sa mesure au sein du prochain gouvernement. Choix difficile s’il en est, choix cornélien même.
Ce qui ne signifie pas, loin s’en faut, que Habib Essid soit privé de moyens pour décider des choix qui s’imposent. Il dispose d’un atout majeur lié à ses qualités personnelles. Il est très haut dans les sondages d’opinion et son départ provoquerait une crise systémique et plongerait le pays dans l’inconnu. On connaît très peu de personnalités aptes à diriger un gouvernement capable de susciter un enthousiasme délirant, ou à tout le moins, l’adhésion, fût-elle à demi-mots, de la classe politique.
Et l’on revient à la question de départ : un remaniement, pour quoi faire ? Laissons de côté l’aptitude, la force ou la faiblesse de caractère, le degré de réussite de ministres qui ne peuvent rien, en démocratie, contre les aléas de la fonction. Le chef du gouvernement est à même d’en juger. Et il est peu probable que ce soit le seul critère d’appréciation du choix des nouveaux ministres. Et pour cause. En dix mois, beaucoup d’eau a coulé sous le pont de Carthage. La donne géopolitique et sécuritaire a considérablement changé. Le pays est désormais en guerre contre le terrorisme. Une guerre totale et globale, de l’aveu même des trois présidents au sommet de l’Etat. Il ne s’agit pas simplement de le dire de manière incantatoire, il faut en faire la démonstration et traduire cela en actes et en actions. Autant signifier qu’il faut un chef de guerre capable de fédérer, de mobiliser, de consolider le front intérieur républicain pour faire barrage aux visées terroristes et conduire le pays vers la victoire finale. Un seul mot d’ordre : serrer les rangs, aller de l’avant, tenir le cap et vaincre.
C’est un euphémisme que d’affirmer que le pays est en danger, tout comme le sont la République et la démocratie naissante. Le terrorisme, dans ce qu’il a de plus abominable et barbare, peut frapper à tout instant et n’importe où. Il a pu essaimer et métastaser, profitant de complicités ou à tout le moins d’une attitude bienveillante qu’il faudra bien élucider un jour. Il cherche à semer les germes de la discorde, voire de la guerre civile, opposer au rêve tunisien une vision cauchemardesque de la société.
Un remaniement qui répond aux attentes du attentes du peuple
Le peuple de Tunisie, attaché aux libertés et aux valeurs républicaines, attend du gouvernement 2 de Habib Essid qu’il triomphe du terrorisme transfrontalier, qu’il restaure au plus vite la paix civile, la sécurité et la stabilité pour retrouver les leviers de la prospérité et de la croissance qui nous fuient depuis 5 ans.
Le pays a payé un lourd tribut à la démocratie, jamais définitivement à l’abri. Cinq ans presque jour pour jour après la révolution, il a perdu beaucoup de ses illusions. Le choc est terrible : mal-vivre ensemble, détérioration du niveau de vie, recul de l’investissement, effondrement de l’épargne, chute de la productivité, repli de l’innovation. A l’inverse, l’inflation sévit encore et toujours, le chômage se répand comme une traînée de poudre, les déficits s’amplifient, l’endettement pose déjà problème, les inégalités sociales explosent, le déséquilibre régional achève la fracture du pays, et la corruption, qui a gangrené la fin de règne de l’ancien régime, prend des allures jamais connues par le passé : elle n’a d’égal que le commerce parallèle qui irradie le pays et détruit tout sur son passage, à commencer par l’autorité de l’Etat, quand ce n’est pas l’Etat lui-même.
L’économie s’est gravement dégradée, le pays est fortement abîmé et sa sécurité est ébranlée. C’est contre cela que le prochain gouvernement doit apporter au plus vite des réponses concrètes et agir. Car le pays a besoin d’être rassuré et sécurisé. Il doit se reprendre au plus vite et se remettre au travail, dont il en a perdu jusqu’à la notion de sa valeur. Il faut briser ce cercle vicieux qui alimente la peur et la régression économique…
La Tunisie est non seulement désormais en guerre contre le terrorisme, mais elle doit aussi faire la guerre contre la pauvreté et la misère et déclarer illégaux le chômage des jeunes diplômés et l’indifférence coupable à l’égard des régions laissées-pour-compte, qui n’en finissent pas de s’enfoncer dans le sous-développement.
Il faut tracer une perspective et redonner espoir aux jeunes, aux régions oubliées et à la classe moyenne qui se paupérise, ré-enchanter, au moyen d’un grand des¬sein national, le pays avant qu’il ne rejette une fois pour toutes des politiques, déjà frappées d’un lourd discrédit.
Le remaniement doit pouvoir répondre à ces attentes. Son architecture doit être revue et repensée. Il doit être recalibré, resserré avec des périmètres d’action ministérielle élargis, pour éviter toutes sortes de déperdition en temps, moyens et énergie.
Il faut en finir avec le saucissonnage d’un autre temps, qui dépouillait les ministères de tout attribut politique et en limitait forcément l’efficacité.
Un gouvernement de combat au motif de vaincre le terrorisme et restaurer l’autorité de l’Etat doit être visible et audible et donc peu prolixe : la défense ; la sécurité ; la justice ; le redressement économique et financier ; la cohésion sociale ; la logistique – équipement, transport et communication – ; l’habitat et l’aménagement du territoire ; l’agriculture, l’hydraulique et l’environne¬ment ; le tourisme et la culture ; l’avenir qui se conçoit et se construit dans les écoles, les collèges et l’université ; et bien évidemment, la diplomatie parée de ses nouvelles vertus économiques.
Aux grands problèmes, il faut de grands ministères, dirigés par des ministres visionnaires, qui portent au plus profond d’eux-mêmes notre projet républicain.
Avec ce remaniement, Habib Essid doit éviter un double écueil : la boulimie et la surenchère des partis de la coalition et l’erreur de casting. L’Etat ne doit pas être grand pour les petits problèmes et petit pour les grands sujets d’inquiétude. Hors de ces sentiers hasardeux, il peut trouver sa voie et mener le pays à bon port. Bien plus tôt qu’on ne le dit.
Super article ! Merci pour les info 🙂