Face à la pourriture qui empeste la planète Foot depuis des années, on ne peut que penser avec beaucoup de nostalgie au bon vieux temps du football, aux ambiances bon enfant dans les stades, aux joueurs talentueux qui suaient derrière le ballon plus pour honorer le maillot qu’ils portaient que pour gagner de l’argent. Ils recevaient assez d’argent pour vivre décemment et non pour aligner les voitures de collection dans des propriétés qui coûtent des dizaines de millions de dollars, comme le font les stars actuelles du ballon rond.
Ceux qui sont aujourd’hui à l’âge de la retraite se rappellent sans doute avec une très grande nostalgie les finales de la Coupe du monde de 1966 à Wembley à Londres qui opposa la Grande Bretagne de Jack Charlton et Bobby Moore à l’Allemagne de Frantz Beckenbauer et de Karl-Heinz Schnellinger ou, mieux encore, la finale de 1970 qui opposa au stade Aztèque de Mexico le Brésil de Pelé et Rivelino à l’Italie de Facchetti et Mazzola.
C’était le temps où le jeu était porté au sommet de son art et les joueurs-artistes donnaient de véritables spectacles dans les stades sans attendre rien en retour, sinon la joie que manifestaient bruyamment les foules dans les stades.
C’était le temps où quiconque avait un téléviseur pouvait suivre les matchs disputés dans les différentes et innombrables compétitions nationales, continentales et internationales.
C’était le temps où le public des stades n’était pas différent du public des manifestations culturelles. C’était un public qui respectait les règles fondamentales de la bonne éducation et de la morale et avait même le souci de la bonne tenue vestimentaire.
Et puis un jour l’argent fit son entrée dans le monde du football, à la manière du ver qui entre dans le fruit. Quand l’argent trouve un terrain fertile pour se faire fructifier, il ne recule devant rien. Et les terrains de football se sont avérés être d’une fertilité effroyable pour la fructification de l’argent. Au point qu’un mercato en été n’est plus suffisant et les affairistes ont dû en créer un autre en hiver.
C’est que le marché aux joueurs est très rentable. Je vous achète un joueur pour 10 millions d’euros, je l’entraîne comme il faut, il marque quelques buts, fait de bons dribbles devant les caméras et je vous le revends trois fois le prix.
Aujourd’hui, des joueurs qui n’ont pas 25 ans sont vendus à des sommes astronomiques qui peuvent atteindre 90 millions d’euros et peuvent gagner en un mois ce que gagne un smicard dans un pays africain ou asiatique en trois siècles de dur labeur. Oui, en trois siècles.
Avec l’argent qui coule à flots, il est inévitable que la corruption, le trafic, l’escroquerie et les matches truqués s’insèrent insidieusement dans le monde du football, tel un cancer qui se propage dans un corps humain.
Comme par un effet de contagion inéluctable, le pouvoir corrupteur de l’argent s’est étendu dans les gradins où la violence physique et verbale, la haine et l’aigreur font des ravages. L’intolérance et le racisme deviennent un véritable fléau avec des spectateurs racistes poussant le ridicule jusqu’à imiter les cris de singes quand un joueur africain s’empare du ballon… Bref, les stades où sont censées se dérouler honnêtement des compétitions entre artistes du football, sont devenus des arènes où le jeu propre et honnête, les règles élémentaires de la morale sont bafoués au profit du désormais sacro-saint principe de la victoire à tout prix. Les gradins des stades, où jadis des centaines de milliers de spectateurs se réunissaient chaque semaine pour apprécier une belle partie indépendamment du résultat, ou admirer les prouesses techniques des joueurs indépendamment de l’équipe à laquelle ils appartenaient, ces gradins sont devenus aujourd’hui les déversoirs de tout ce que l’esprit humain produit de plus hideux en termes de violences verbales et physiques. La victoire de nos jours est devenue synonyme de gains matériels mirobolants, et donc tous les coups et toutes les magouilles sont permis pour gagner.
Si la FIFA était à la hauteur, si ceux qui la dirigeaient, et notamment les deux derniers présidents, le Brésilien Joao Havelange et le Suisse Sepp Blatter, étaient intéressés uniquement par l’intérêt du football et non par leurs intérêts bassement matériels, ce sport ne serait pas aujourd’hui dans cet état misérable.
Si les sujets principaux que sont l’attribution de la Coupe du monde, la vente des droits de télévision et le marketing n’étaient pas traités derrière des portes closes par un petit nombre de personnes, mais dans la transparence et au vu et au su de tout le monde, la FIFA ne serait sûrement pas l’objet aujourd’hui de tant d’attaques virulentes et de mépris. L’appât du gain et l’addiction à l’argent facile semblent avoir aveuglé les dirigeants de la FIFA au point qu’ils ne prennent même plus la peine de sauver les apparences.
Car enfin, une fois le pays hôte de la Coupe du monde de 2018 choisi, la Russie en l’occurrence, pourquoi cet étrange empressement de désigner le pays hôte de la compétition pour 2022, huit ans avant son déroulement ? Bien que le Qatar, de par sa taille et sa très courte histoire, n’ait en rien contribué au développement du football ; bien que son climat en juin-juillet soit insupportable pour les joueurs, ce pays fut choisi par la FIFA pour accueillir la compétition aux dépens d’autres candidatures de pays infiniment plus appropriés, plus compétents et plus aptes à organiser des manifestations sportives d’envergure mondiale.
Les enquêtes lancées par les justices américaine et suisse sur la corruption au sein de la FIFA nous permettront d’en savoir un peu plus sur cette affaire et sur d’autres. Toutefois, quand on a en tête certains éléments, on pourra affirmer sans risque d’erreur que l’attribution de la Coupe du monde de 2022 n’a pas été décidée en fonction de procédures régulières, transparentes et honnêtes.
Ce n’est sûrement pas pour les beaux yeux des Qataris que Sepp Blatter défendait bec et ongles le choix du Qatar que ni le climat, ni les infrastructures sportives, et même le niveau de football qui y est pratiqué ne qualifient pour l’organisation de la plus grande manifestation sportive mondiale. Ce n’est sûrement pas par amour du football que Nicolas Sarkozy, alors président de la France, téléphona le jour du vote à Michel Platini pour l’exhorter à convaincre les fédérations africaines de voter pour le Qatar…
Ce n’est sûrement pas sans raison que l’ancien cadre de la Fédération internationale de Football Association (1984 -1995 et 2001-2003) Guido Tognoni, critiquant sévèrement le système mis en place sous la présidence de Sepp Blatter et celle de son prédécesseur brésilien, Joao Havelange, crie haut et fort que « la FIFA est une mafia ».
Ce n’est sûrement pas sans raison non plus que le journal français Libération, dans sa couverture des événements tragiques qui secouent le monde du football, a choisi de reproduire sur toute sa ‘Une’ l’affiche du film de Francis Ford Coppola ‘Le Parrain’ en lui choisissant un autre titre ‘FIFA Nostra’.
Ce n’est sûrement pas sans raison enfin, même si c’est un peu excessif, que le journal l’Equipe a publié ces phrases incendiaires : « Il y a dans l’air une odeur de pourriture. Les égouts de la FIFA débordent tellement que boucher son nez ne suffit plus à masquer les effluves pestilentiels lâchés par la machine qui gouverne le football mondial. »
Cela dit, même si des enquêtes anti-corruption sont lancées, même si deux des piliers de la FIFA actuelle, Blatter et Platini, ont reçu un carton rouge et se sont fait expulser du monde du football, il est hautement improbable que l’on retrouve de sitôt le bon vieux football d’antan. Le football d’avant la désastreuse irruption du « big money » dans les stades.