28 anciens militants au sein de l’Union générale des étudiants de Tunisie ( UGET ) fichés par la police ont entamé une grève ouverte de la faim au siège de l’organisation estudiantine à Tunis. Ces grévistes, dont huit sont des femmes, ont choisi la grève de la faim comme dernier recours pour revendiquer leur droit au travail, après l’épuisement de tous les moyens classiques. Retour sur la journée de soutien des grévistes qui coïncide avec le dixième jour de la bataille de «l’estomac vide ».
Samedi 26 décembre, il est 14h30, ce n’était pas difficile de comprendre que quelque chose se passait au siège de l’organisation estudiantine, même pour une personne non avertie. Ce siège, autrefois sous le contrôle de la police politique, est un abri pour les étudiants aux différences idéologiques et une « forteresse du militantisme estudiantin », comme disent ses partisans. Il est depuis 10 jours maintenant le refuge de jeunes grévistes de la faim. A peine sommes-nous descendus du métro à la station du métro de Bab El Khadra et après avoir marché quelques mètres, qu’on aperçoit du monde devant le siège et une estafette de la police parquée à l’entrée de la rue qui mène au siège de l’organisation estudiantine.
Etudiants, activistes, représentants des partis politiques et artistes ont répondu à l’appel pour la journée de soutien organisée conjointement par l’Union générale des étudiants de Tunisie et l’Union des diplômés chômeurs ( UDC ). Quelques minutes plus tard, une musique engagée célébrant la lutte ouvrière, le militantisme caresse nos tympans. En effet, des sympathisants avec les grévistes se sont rassemblés pour chanter de vieilles chansons engagées en l’honneur de leurs camarades, le son du luth joué par l’un des sympathisants se mêle aux voix des autres qui chantent à l’unisson.
A la réception du bâtiment, l’ambiance est tendue et les moindres détails riment avec résistance : les communiqués de soutien parvenus aux grévistes sont affichés aux murs, des slogans révolutionnaires écrits sur les murs ou sur des banderoles annoncent la manifestation prévue pour le même jour, alors que traînent ça et là des bouteilles d’eau et des morceaux de sucre pour combattre la déshydratation. A première vue, il est difficile de croire que cet espace de quatre chambres est devenu le refuge de 28 grévistes. Après dix jours de grève, et si quelques grévistes se portent plus ou moins bien, d’autres peinent à marcher.
Marwen Miguhri, membre du comité national de l’équité des anciens membres de l’UGET fiché par la police vient à notre rencontre et nous explique la situation : après le retrait des postes de police des universités, plusieurs documents indiquant la liste des étudiants faisant partie des partis politiques, activistes ou syndicalistes ont fuité, se rappelle-t-il, en tenant entre les mains un document qu’il a eu en 2012 de la faculté des Lettres de Sousse et contenant la liste des étudiants fichés. Cette liste contient toutes les informations relatives aux étudiants politisés et/ou activistes à la faculté de Sousse : « Comme vous pouvez le constater, le document est cosigné par le doyen de la faculté et un responsable de la sécurité à l’université, ce qui prouve la connivence entre les deux systèmes. Nous estimons que 600 activistes sont fichés et privés de leur droit au travail, à cause de leurs activités ou appartenances politiques », s’insurge-t-il.
Alors que nous étions en train de recueillir les témoignages des grévistes de la faim, nous avons appris que certains grévistes ont quitté le siège pour participer à une marche de protestation, et ce, malgré leur condition physique. Du coup la tension monte entre les camarades : « Ils ne vont pas pouvoir continuer la marche, ils sont trop affaiblis, ils vont perdre connaissance », nous dit l’une des membres encadreurs de la grève. Le silence enveloppant tout l’espace est interrompu par des mots de colère contre cette marche inattendue, car faut-il toujours le rappeler, un gréviste de la faim ne doit pas quitter les lieux de la grève sous aucun prétexte.
Trois grévistes, une seule histoire mais une seule détermination et un seul souhait : réussir la grève de la faim au risque d’y laisser leur vie. Abdenasser Jellassi, malgré la fatigue tient encore debout. Ce jeune maîtrisard en sciences de la vie et de la terre, titulaire d’un master et d’une formation d’ingénieur, originaire de Sidi Bouzid, a entamé son parcours de militant en 2005, la date de sa première année à l’université. Il nous relate fièrement son implication dans tous les mouvements sociaux, et toutes les revendications estudiantines et ses nombreuses arrestations. « Toutes les revendications que j’ai faites et toutes les actions que j’ai menées avant le 14 janvier étaient des actes collectifs dans l’intérêt des étudiants et de la patrie et il est hors de question que je demande une contrepartie », indique-t-il et de continuer avec un regard triste : « La revendication du travail est certes personnelle, mais je la revendique en tant que droit qu’on m’a ôté par le fichage, ce qui est le cas de tous les grévistes ».
Le cas de Ghassen Mahfoudhi n’est pas différent de celui d’Abdenasser Jelassi. Diplômé en informatique en 2007, il a connu les arrestations et la torture très tôt : « La veille de l’exécution de Saddam Hussein, je subissais tortures et humiliations dans un poste de police à cause de mes activités « . » Et tous les concours de la fonction publique que j’ai passés se sont soldés par un échec étant fiché « , argumente-t-il. Tout en fumant sa cigarette avec amertume, notre interlocuteur rappelle que « des milliers de partisans du mouvement d’Ennahdha ont été recrutés, notamment pendant l’époque de Samir Dilou- à l’époque ministre de la Justice transitionnelle- mais ceux qui ont participé aux événements du 17 décembre 2010- 14 janvier 2011, notamment les militant de l’UGET ont été ignorés et peinent à avoir leur droit « .
Safa Mansouri ne compte pas le nombre d’arrestations et de mandats avant le 14 janvier. Cette jeune femme âgée de 30 ans, originaire de Kasserine, active au sein du Parti des travailleurs, anciennement Parti communiste des ouvriers de Tunisie, affirme avoir subi la torture et même des menaces de viol, lors de son arrestation quelques jours avant le 14 janvier 2011 au siège du ministère de l’Intérieur. » A l’époque, ma famille a subi des intimidations et des harcèlements pour que je renonce à mes activités politiques, mais en vain il n’était pas question de renoncer « , dit-elle avec insistance. Safa tient pour responsable le ministère de l’Intérieur de tout son calvaire. Cependant elle souhaite récupérer son archive au ministère, « mais cet archive affirme bel et bien que je suis fichée et je ne crois pas que le ministère de l’Intérieur délivrera ce genre de documents « , regrette-t-elle.
Au moment de quitter les lieux, nous jetons un regard sur une banderole sur le sol sur laquelle est écrit : « La révolution a dévoré ses enfants »…