François Asselin, président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME France) a été l’invité de la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (CONECT). Le président de la CGPME France a, à cette occasion, accordé, en exclusivité, une interview à notre magazine L’Economiste Maghrébin. Nous publions des extraits de cette interview publiée en intégralité sur les colonnes de notre version papier du 23 décembre 2015.
L’Economiste Maghrébin : A un moment donné, nous avons eu comme le sentiment qu’au niveau de la France, par exemple, l’engouement pour l’Asie était plus fort, bien qu’investir en Chine revient pour la France à céder aussi ses modes de fabrication et à exposer son industrie et sa production à la déferlante asiatique. Le site Tunisie offre un vérétable rempart pour l’industrie française.
François Asselin : Exactement, et je peux vous dire aussi que ce qui nous est arrivé avec les attentats du Bataclan et ce que vous connaissez vous aussi depuis pas mal d’années, a finalement réveillé les consciences. Nous nous sommes retrouvés fragiles. Et pour faire face à cette fragilité, il n’y a qu’une seule solution. C’est la marche en avant, c’est se serrer les coudes les uns, les autres. Et une belle manière de se serrer les coudes, c’est d’augmenter nos échanges, de faire en sorte qu’au lieu d’aller regarder trop loin, on regarde très près de chez nous. Là où des opportunités magnifiques se présentent.
Il n’y a pas, aujourd’hui, un pays dans le monde qui ne soit pas exposé, comme le sont la France et la Tunisie, au terrorisme. Plutôt que d’attendre et de se recroqueviller, il faut être audacieux, sans être naïfs. S’en sortir, c’est surtout une affaire d’ambition, de détermination, mais aussi de solidarité.
Aujourd’hui, en Tunisie, il est surtout question de chômage. Le paradoxe, c’est que tout le monde veut créer sa propre entreprise, que l’Etat donne à penser qu’il veut encourager la création d’entreprises en mettant en place toute une panoplie de mesures, mais qu’au final, il y a très peu d’entreprises et pas assez d’investissements et de création d’emplois.
Je ne connais pas bien la Tunisie pour en tirer les conclusions. En France, le problème est que la culture PME est très peu connue au plus haut niveau de l’Etat, au Parlement etc. Nous avons 577 députés ; 15 parmi eux ont été chefs d’entreprises, dont 10% seulement ont une expérience professionnelle dans les secteurs marchands. Comment voulez-vous qu’on arrive à se comprendre lorsqu’on a besoin qu’ils légifèrent en faveur des PME, si eux-mêmes ne connaissent pas le secteur marchand ?
Cependant, aujourd’hui, il y a comme une prise de conscience parce que le chômage reste massif, mais aussi parce qu’une certaine reprise se fait sentir partout autour de la France, dans les autres pays européens, alors qu’en France, on ne profite pas de ce vent de reprise. Tout simplement parce qu’on n’a pas pris des décisions énergiques de réformes structurelles.
En France, nous avons 2,4 fois plus d’entreprises de 49 salariés que d’entreprises de 51 salariés.
On parle de la réforme du Code du travail, c’est un sujet majeur en France aujourd’hui. Et je pense que ce code doit être simplifié pour lever la peur de l’embauche. Les chefs d’entreprises français, comme les chefs d’entreprises tunisiens, n’ont pas à rougir de ce qu’ils sont. On est loin d’être les plus mauvais. Très loin. Nous sommes des gens fiables, nous avons un bon savoir faire et surtout un relationnel souvent intelligent et fin culturellement. On peut et on veut toujours tisser des relations sur le long terme. C’est l’esprit PME et c’est cet esprit qu’il faut conforter.
La grande difficulté aujourd’hui pour les forces vives que nous représentons, c’est d’être mal compris par ceux qui doivent légiférer. Dire par exemple que simplifier la rupture quand il faut malheureusement se séparer d’un ou de plusieurs salariés facilite l’embauche, est aujourd’hui une pédagogie extrêmement compliquée à faire entendre. Et pourtant, c’est une sinon la solution pour débloquer le marché de l’emploi en France.
Aujourd’hui, réorienter l’entreprise, c’est tellement compliqué, tellement risqué financièrement que les entrepreneurs n’osent plus se développer, ni embaucher. En France, nous avons 2,4 fois plus d’entreprises de 49 salariés que d’entreprises de 51 salariés. C’est le problème du seuil syndical, parce qu’une fois que l’entreprise dépasse ce seuil, elle se trouve directement confrontée à toute une cascade d’obligations administratives. Résultat : le chef d’entreprise préfère stagner que se développer pour, finalement, avoir plus d’embêtement et moins d’argent.
Contrairement à ce qu’on a tendance à penser, la première motivation d’un chef d’entreprise, ce n’est pas de gagner plus, mais de se développer plus. D’après un sondage effectué auprès de nos adhérents, la première motivation d’un chef d’entreprise, c’est de porter avant tout un projet personnel, un projet professionnel. L’argent, ce n’est que la récompense. Cela, il faut bien le comprendre ; malheureusement, c’est souvent mal compris.