Entre revendications syndicales et regards d’économistes, le sujet des augmentations salariales a été traité en Tunisie depuis le 14 janvier 2011. Alors que quelques heures nous séparent de l’année 2016, la centrale patronale ( UTICA ) et la centrale syndicale ( UGTT ) n’arrivent toujours pas à conclure un accord dans le cadre des négociations sociales dans le secteur privé.
Lotfi Ben Aïssa, expert en finances publiques et en fiscalité au sein du Front Populaire, estime qu’il existe deux arguments qui plaident en faveur de l’augmentation salariale pour les employés du secteur privé.
Le premier argument est relatif au fait que les fonctionnaires de l’Etat ont bénéficié d’augmentations salariales qui entrent en vigueur à partir de janvier 2016 et il est tout à fait logique que les employés du secteur privé soient alignés, même si ce n’est pas dans la même proportion compte tenu de la spécificité du secteur privé ».
« Il existe une obligation économique et morale d’accorder des augmentations salariales que ce soit dans le secteur privé ou le secteur public », estime-t-il. Dans le même contexte, il a rappelé que les salariés dans le secteur public et dans la fonction publique ont vu leur pouvoir d’achat se détériorer.
Le deuxième argument, d’après l’expert est de booster la consommation en tant que moteur de la croissance : « Le seul moteur qui continue à fonctionner et à générer de la croissance, aussi minime soit-elle, c’est la consommation. Mais la consommation a besoin d’être alimentée par un pouvoir d’achat qui se respecte ». Et d’affirmer que la consommation est nécessaire pour faire tourner la machine déjà bloquée par le fait que le moteur de l’investissement est extrêmement ralenti et que l’exportation souffre de manque de marchés dû à la crise persistante dans les marchés classiques, à savoir les pays européens, notamment la France et l’Italie. La paix sociale a un coût qu’il faut consentir pour que la production et la productivité fonctionnent à leur rythme habituel », conclut-il.
Riadh Karaa, maître assistant en économie, a estimé quant à lui qu’on aurait dû mettre en place un contrat social entre l’UTICA, l’UGTT et le Gouvernement depuis 2012, avec des clauses claires et qui détermine les taux des augmentations salariales.
En ce qui concerne le montant de l’augmentation qui varie entre 36 et 40 dinars, l’économiste a déclaré: « Je ne vois pas comment une augmentation dérisoire pourrait provoquer une inflation, comme disent certains ». Dans le même contexte, il a estimé qu’il faut procéder aux augmentations salariales, puisque notamment le pouvoir d’achat s’est détérioré de 40% et que plusieurs ménages sont surendettés. « Cependant les augmentations salariales doivent prendre en considération les secteurs en difficulté », conclut-il.
Pour l’expert financier Ezzedine Saidane, il ne faut pas augmenter les salaires tant que l’économie tunisienne est en situation de récession. Expliquant le principe des augmentations salariales, Ezzedine Saidane a indiqué que toute augmentation de salaire se traduit par une injection d’argent et l’économie dans son état actuel n’est pas capable de transformer l’injection des capitaux en croissance donc cela se traduit par de l’inflation. « Non seulement cela n’améliorera pas le pouvoir d’achat, mais cela rendra la vie difficile à ceux qui ne peuvent pas s’ajuster, qui ont des revenus fixes, comme par exemple les retraités ».
Ce qui est grave c’est que « le financement se fait à travers l’endettement extérieur sans création de richesse ou d’emplois ». Au niveau des entreprises, le financement des augmentations salariales se fait à travers le recours au système bancaire. L’expert a recommandé de soigner l’économie pour que désormais lorsqu’une augmentation de salaire est accordée, elle ne se transforme pas en une inflation. Raison pour laquelle il faut faire de l’amélioration de l’économie tunisienne, la priorité nationale.
L’expert en gouvernance Moez Joudi, quant à lui, reste catégorique sur la question et affirme qu’il est contre les augmentations salariales dans le contexte économique actuel : « On ne peut accorder d’augmentations sans respect des équilibres de base, sans en avoir les moyens et sans que le contexte ne soit propice à ces augmentations », indique-t-il avant d’affirmer que des augmentations dans un contexte pareil peuvent engendrer de l’inflation.
Interpelant l’UGTT, Moez Joudi a indiqué que l’UGTT défend les travailleurs, ce qui est légitime, mais elle devrait défendre aussi l’entreprise. « L’entreprise c’est là où le travailleur produit et c’est là où la croissance se crée. Nous devons aller vers le concept de l’entreprise citoyenne », indique-t-il.