Comme beaucoup de Tunisiens nous avons enterré l’année 2015 non sans un certain soulagement pensant se débarrasser avec cet annus miserabilis de tous nos problèmes, et accueilli l’année 2016 avec un espoir volontairement démesuré tant la frustration est grande de voir autant de potentiel et de temps gâchés.
Sans vouloir jouer les troubles fêtes, l’année 2016 sera difficile, voir périlleuse pour la jeune Tunisie post-révolution qui subit de plein fouet les affres de la turbulence régionale – et mondiale – incontrôlable et imprévisible ainsi que les (tentatives) ingérences de tous crins et à multiples desseins souvent incompatibles et qui mettent notre diplomatie dans un grand écart à multiples dimensions impossible à achever.
La Tunisie est d’autant plus vulnérable que pratiquement tous ses indicateurs socio-économique sont au rouge, qu’elle doit rembourser certains prêts arrivés à échéance en 2016 et 2017, et donc sa marge de manœuvre s’en trouve fortement amoindrie voir inexistante aujourd’hui. Notre crédit sympathie s’estompant petit à petit. Au plus haut lors de la signature du partenariat de Deauville, il n’a eu de cesse de s’éroder depuis, mis à part un sursaut éphémère avec le prix de Nobel de la paix 2015.
Un constat factuel et honnête s’impose
Contrairement au FMI et à la BCT, je ne pense pas que la Tunisie réalisera un taux de croissance de 2,6% en 2016. J’estime, selon mes calculs et mon analyse, que ce taux sera plutôt autour de 0,5% voir moins, en fonction des différents aléas à venir.
Nos exportations resteront faibles et dépendantes de la demande de nos principaux clients au sein de l’euro zone. Cette demande restera malheureusement faible. L’OCDE prévoit pour 2016 une croissance de 1,4% pour la France, notre principal partenaire commerciale.
La consommation restera aussi faible (mis à part un léger sursaut au premier trimestre 2016), en grande partie à cause de l’inflation et des pressions du FMI sur les dépenses publiques (salaires du secteur public et subventions).
Quant aux investissements, ils resteront probablement en berne et subiront le mauvais climat des affaires en Tunisie aggravé par les aspects sécuritaires et le retour probable de centaines de Djihadistes fuyant la Syrie. Le code des investissements n’est toujours pas prêt, le PPP reste quant à lui soumis aux décrets d’application… Sans parler des autres réformes en standby.
Le tourisme restera sans doute à son plus bas niveau et le coup de grâce sera donné par l’intransigeance de l’UGTT, les grèves à répétition qui risquent encore une fois de miner le bassin minier et de faire fuir les investisseurs locaux et étrangers.
Les aléas climatiques pourraient compléter le tableau en compromettant les récoltes de dattes, olives, blé, agrumes…
L’autocritique, les sanctions et la méritocratie s’imposent
Tous les gouvernements post révolution ont prêché par excès d’optimisme, ont souvent manqué de professionnalisme dans la gestion des dossiers techniques et/ou dans la gestion des ressources humaines au sein de leurs ministères. A titre d’exemple, aucun ministre post révolution ne maitrisait le dossier de l’ALECA (Accord de Libre Echange Complet et Approfondi) ou n’est resté suffisamment longtemps en poste pour s’y intéresser sérieusement. Trop absorbés par le marché intérieur et le contrôle des prix des produits alimentaires ! Ce n’est pas par hasard que de nombreux pays ont un ministre du commerce extérieur (et du développement international).
Cerise sur le gâteau, l’ego surdimensionnés de nos dirigeants politiques a fini par entamer leur crédibilité et les déconnecter des tunisiens, et notamment des jeunes. Le remaniement ministériel tant de fois annoncé sera finalement accouché aux forceps, fruit d’un compromis politicien faible et sans doute inhibant pour l’action de la future équipe gouvernementale. Tout cela aboutit tout naturellement à une mauvaise allocation des ressources humaines où le bon politicien, l’académicien et le fameux technocrate subissent de plein fouet le principe de Dilbert, où tout employé tend à s’élever à son niveau d’incompétence.
Les recommandations
Autant une recommandation est importante, sa mise en œuvre effective l’est encore plus. Beaucoup de diagnostics ont été effectués, de conférences, de tables ronde, de dialogues,… l’heure est à l’action… Pour paraphraser Hannah Arendt, les recommandations justes trouvées au bon moment sont de l’action.
Beaucoup a été dit, trop de temps et d’énergie ont été gâchés… Je me contenterais de trois recommandations essentielles qui sont en quelque sorte des prérequis indispensables au redressement économique du pays:
- Rompre avec l’incompétence, le copinage, le clientélisme et privilégier les véritables compétences au sein de tous les rouages du secteur public, du gouvernement et des autorités locales. La culture de l’excellence, la méritocratie, et la sanction de l’incompétence, sont l’essence même du prestige de l’état tant clamé… La composition du prochain gouvernement donnera le ton… Il ne suffit pas de nommer une personne intègre, travailleuse, et appréciée, encore faut-il qu’elle soit à sa place, dynamique et opérationnelle…
- Réviser le système d’éducation et de formation professionnelle en mettant la priorité sur l’inclusion des jeunes et la maitrise des outils technologiques. Améliorer l’employabilité des jeunes et les équiper pour mieux répondre à la demande du marché présentement et à l’avenir (e-commerce, e-santé, e-…) est primordial. Le modèle finlandais pour l’éducation et les TIC, les modèles suisses et allemands pour la formation professionnelle sont autant de sources d’émulation pour nos décideurs publics.
- Faire de la Tunisie un hub commercial régional, en engageant un grand programme d’infrastructures de transport (et logistique), mobilité et croissance, en prenant en compte le renforcement de la concurrence, la décentralisation économique et l’optimisation du transport modal (routier, ferroviaire, maritime et aérien). Le financement privilégiera le PPP et les concessions en faveur d’acteurs clé comme par exemple les entreprises chinoises dans le cadre du méga programme économique chinois visant à favoriser les échanges commerciaux entre l’Europe, le Moyen Orient et l’Asie.
Bonne année 2016.