La réforme éducative continue de susciter perplexité et appréhensions à plus d’un titre : sa réception par les élèves et les parents, son application par les administrations et le corps enseignant et l’attente des résultats tant espérés.
Sans vouloir préjuger de la réforme éducative lancée par le ministère de l’Education, en collaboration avec ses partenaires, des questions pressantes persistent encore et attendent des réponses désespérément.
Le rôle de l’établissement scolaire se limite-t-il uniquement à l’acte d’enseigner ou consiste-t-il également en un devoir de formation ? Et cet acte d’enseignement/formation ne devrait-il pas se passer dans un endroit sain, un espace où la violence ne règne pas en maître ? Et quid de l’égalité des chances dans tout cela ? Toutes ces interrogations font-elles partie de l’histoire ancienne ?
Former ou enseigner : telle est la question
A première vue, la question semble évidente et la réponse claire. Former et enseigner doivent être complémentaires pour le bon déroulement du processus pédagogique. Cependant, ceci n’a rien à voir avec la vérité car entre l’enseignement et la formation le fossé se creuse. Le sociologue Abdelwahab Hfaiedh, auteur d’un certain nombre d’études sur l’éducation et président du Social Science Forum, situe le problème au niveau de l’approche « car évaluer ce n’est pas uniquement noter ».
« Depuis quelques années, une nouvelle mentalité a émergé selon laquelle l’examen serait un moyen de passage pour valider une note et non pas l’acquis », dit-il. Il soutient que le point d’appui du système éducatif de nos jours n’est plus la note et ni la certification, c’est la compétence : « Une connaissance pure n’a plus sa place sur le marché de l’emploi. Pour s’assurer de la qualité de l’acquis, il faut d’abord s’assurer de l’assiduité des enseignants afin que le taux d’absentéisme n’aille pas au-delà de l’acceptable et qu’il y ait un minimum de contrôle quant à la qualité des cours dispensés par le corps enseignant, ce que l’esprit corporatiste refuse ».
A notre question sur le désintéressement des élèves des cours une fois qu’ils ont terminé les examens, le sociologue a pointé du doigt la suppression de l’évaluation continue, méthode qui, selon lui, rapproche l’élève de l’enseignant : « J’espère qu’il n’est pas trop tard pour que le ministère entame les réformes nécessaires. Il faut absolument revoir la méthode d’évaluation et abandonner cette mauvaise association entre le passage et la note, la certification et la réussite ».
Le processus à suivre ? D’après Abdelwahab Hfaiedh, il faut consolider les quelques réformes qui ont déjà été entamées avec une méthode plus participative mais pas uniquement la participation des syndicats, il y a aussi les parents d’élèves, et les élèves.
Sauver les établissements scolaires de l’emprise de la violence
Réformer, encadrer et innover tout cela est bien beau. Mais en premier lieu, sauvons les établissements scolaires et les élèves de l’emprise de la violence. Le directeur de la vie scolaire relevant du ministère de l’Education dans les collèges et les lycées, Ahmed Sellimi, a indiqué, hier 11 janvier, que sur 2 millions d’élèves, 3% uniquement ont exercé ou subi la violence. Il s’agit tout de même de 600 mille élèves ! Toujours selon la même source, la majorité des cas de violence ont eu lieu au sein des établissements scolaires urbains.
Abdessatar Sahbani, sociologue et président de l’Observatoire social tunisien relevant du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), a estimé que le chiffre réel dépasse de loin le chiffre présenté par le ministère de l’Education car il ne tient pas compte des actes de violence commis sur le chemin de l’aller ou du retour de l’établissement scolaire. « Les établissements scolaires tunisiens vivent une crise depuis des années et les autorités compétentes n’ont pas su résoudre ce problème. Le régime scolaire est devenu générateur de violence », explique-t-il et de pointer du doigt la disparition des clubs culturels au sein des établissements scolaires.
Par ailleurs, notre interlocuteur a indiqué qu’il est nécessaire de revoir la relation entre les différents intervenants dans le processus de l’enseignement pour commencer à résoudre les problèmes.
Egalité des chances dites-vous !
Depuis l’aube de l’indépendance, le discours officiel préconisait déjà l’égalité des chances devant l’éducation et l’importance de l’école comme ascenseur social. Cependant, plusieurs études menées récemment ne font que démentir le discours officiel.
En effet, dans une étude menée par le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), publiée au mois de septembre 2014, le nombre des élèves qui ont abandonné les études a atteint 112 mille. Par ailleurs, l’abandon scolaire est davantage à déplorer chez les garçons que chez les filles. Cité par la même étude, le directeur du bureau des études et planification au sein du ministère de l’Education affirme que l’abandon scolaire coûte au ministère annuellement 345 millions de dinars soit 13% du budget du ministère.
Une autre étude menée par Social Science Forum qui a braqué la lumière sur la région de Foussana (gouvernorat de Kasserine), 33,75% de ceux qui abandonnent les études le font suite à des pressions familiales et 49.5% des élèves interrogés dans le cadre de la même étude ont affirmé qu’ils ont quitté l’école à cause de l’absence de transport.
« A chaque fois que l’élève se trouve devant des problèmes de transport, le souhait de quitter l’école s’intensifie. », précise l’étude pointant également du doigt les difficultés dues à la situation financière de la famille et les chemins montagneux difficiles d’accès.