Après des réunions-marathons et plusieurs suspensions, les négociations sociales sur l’augmentation des salaires dans le secteur privé, au titre de l’année 2015, peinent toujours à être conclues entre l’UGTT et l’UTICA malgré un semblant d’accord qui n’est toujours pas validé par les deux organisations et qui prévoit des augmentations salariales de 6% ainsi qu’une indemnité de transport de 10 dinars et une prime de présence de 3 dinars.
Rappelons qu’au début des négociations, la centrale patronale avait estimé que les majorations salariales devaient absolument être indexées sur l’inflation, proposant ainsi une majoration de 4,8%. Un taux jugé très insuffisant par l’UGTT qui avait proposé au départ un taux de 15%, pour le réviser à la baisse à 12% dans un premier temps, et à 8% par la suite.
Reste que la signature de l’accord a été reportée, en raison d’un nouveau différend sur l’effet rétroactif des augmentations, mais aussi et, à en croire les responsables du syndicat, sur la date d’entrée en application des augmentations au titre de l’année 2016.
UGTT : « L’Utica veut imposer ses conditions »
Belgacem Ayari, secrétaire général adjoint de l’UGTT, chargé du secteur privé, déclare : « Exceptionnellement et compte tenu de la conjoncture économique difficile que traversent le pays et les entreprises, l’UGTT a accepté que l’effet rétroactif des augmentations au titre de l’année 2015 soit à compter du 1er septembre 2015, bien que, par tradition, les augmentations de salaires soient applicables à partir du mois de mai ».
Et de poursuivre « Cette exception, la centrale patronale veut aussi l’appliquer aux augmentations salariales de l’année 2016, dont les négociations n’ont pas encore eu lieu. Ce qui est inacceptable. Toutefois, pour surmonter ce différend et pour ne pas bloquer la finalisation de l’accord trouvé au sujet des augmentations de l’année 2015, nous avons proposé une date intermédiaire entre la date-coutume en matière d’augmentations salariales (mai) et la date proposée par l’Utica, soit le mois de juillet 2016, comme date de début d’application pour les augmentations au titre de l’année 2016. Sauf que la centrale patronale a encore une fois fait preuve de rigidité et de manque de souplesse en rejetant notre proposition. Et voilà que nous sommes de nouveau bloqués », lance-t-il.
Des propos qui ont été confirmés par le secrétaire général de l’UGTT, Houcine Abbassi, qui a dénoncé, dans une allocution prononcée jeudi 14 janvier 2016, à la Place Mohamed Ali, à l’occasion de la Fête de la Révolution, l’attitude rigide et inflexible de l’UTICA, une attitude qui explique selon lui le nouveau blocage des négociations concernant les augmentations salariales dans le secteur privé au titre de l’année écoulée, malgré l’accord obtenu sur le montant de l’augmentation.
Evoquant les multiples concessions faites par la centrale syndicale, tout au long du processus des négociations, et dont la dernière en date était celle d’accepter le mois de septembre 2015 comme date de début d’application de l’effet rétroactif des augmentations, Houcine Abbassi s’est dit surpris de l’entêtement de l’Utica à vouloir imposer ses conditions, dès à présent, pour les négociations de 2016.
Il a cependant formulé l’espoir de voir les sages parmi les hommes d’affaires pousser la centrale patronale à réviser son attitude avant le 21 janvier, date prévue de la grève générale du secteur privé sur le Grand Tunis.
«On ne veut pas en arriver là, mais la grève c’est notre dernier recours, en cas d’échec des négociations. C’est aujourd’hui inacceptable que l’Utica continue à se dérober à ses responsabilités en imposant, à chaque fois, de nouvelles conditions. Et c’est de la responsabilité de la Présidence du Gouvernement d’intervenir pour rappeler la centrale patronale au respect de ses engagements », dit-il encore dans une déclaration télévisée.
Le secrétaire général de l’UGTT estime aussi que le syndicat est bien conscient de la délicatesse du moment que traversent le pays et les entreprises, mais qu’il est aussi dans l’obligation d’apporter des réponses aux citoyens les plus vulnérables qui voient aujourd’hui leur pouvoir d’achat s’effondrer. A cette équation difficile, il pense que seule une stabilité sociale pourrait apporter des réponses. Et cette stabilité ne sera, selon lui, assurée que si chaque partie assume la responsabilité qui est la sienne.
Utica : « Donnez- nous le temps de respirer ! »
Du côté patronal, Wided Bouchemaoui, présidente de l’Utica, est intervenue sur les ondes radiophoniques pour dire que les négociations sociales sont sur la bonne voie, que le taux d’augmentation est déjà fixé et qu’il ne reste plus que quelques détails à régler avec l’UGTT.
Nafâa Naifer, membre de la commission économique de l’Utica, n’était pas aussi rassuré que sa présidente. Interpellé au sujet de ce nouveau blocage des négociations, il n’a pas hésité à renvoyer la balle dans l’autre camp, attribuant la responsabilité de ces atermoiements à la Centrale syndicale. « Malgré la situation actuelle critique, nous avons accepté d’indexer l’augmentation sur des critères aberrants qui ne répondent à aucune objectivité et nous nous sommes vu imposer une augmentation de 6% ainsi qu’une indemnité de transport de 10 dinars et une prime de présence de 3 dinars », souligne-t-il.
« Cela étant, explique-t-il, nous avons proposé que l’entrée en vigueur de la nouvelle augmentation se fasse à partir du 1er janvier 2016, pour couvrir toute l’année en cours. La proposition de l’UGTT était que l’augmentation soit assortie d’un effet rétroactif remontant au 1er mai 2015, et qu’elle soit valide jusqu’au 30 avril 2016. Chose que nous avons refusée, car il est inconcevable après avoir accepté une augmentation aussi conséquente en période de crise, de se voir imposer en plus une rétroactivité ».
« Malgré cela, l’Utica a accepté l’arbitrage du Chef du gouvernement ayant proposé que l’augmentation soit soldée à un effet rétroactif à compter du 1er septembre 2015 et qu’elle reste valide jusqu’au 31 août. Un arbitrage rejeté par la Centrale syndicale qui n’accepte que la date du 1er septembre comme date d’entrée en vigueur de l’augmentation, mais insiste sur la date-butoir du 30 avril. Date à laquelle elle compte ouvrir les négociations pour 2016. Et d’où le blocage actuel. Nous avons aujourd’hui d’autres choses à faire de plus urgent que de passer d’une négociation à une autre. C’est l’avenir de nos entreprises qui est en jeu. Nos entreprises perdent énormément d’argent. Leur niveau d’activité est en nette baisse. Celles dont les comptes n’ont jamais été au rouge, affichent aujourd’hui des bilans négatifs. Le niveau des engagements envers les banques et les fournisseurs ne cesse de croître. Et c’est la raison pour laquelle nous refusons aujourd’hui de parler de négociations sociales au titre de 2016. Il faut aujourd’hui clôturer ce dossier épuisant et qui menace à la fois la paix sociale et la survie même des entreprises, et nous donner le temps de respirer et de reprendre des forces pour supporter les défis et charges auxquels nous sommes confrontés », conclut M. Naifer.
L’année 2016 s’ouvre donc sous le signe des différends entre les deux partenaires sociaux, et le feuilleton des négociations dont ils sont les principaux acteurs, semble loin d’être clos. Une grève générale sur le Grand Tunis, le 21 janvier 2016, pourrait bien être l’un de ses prochains épisodes, si chacune des deux parties s’entête à rester sur sa position.