Devant la gabegie ambiante et l’impuissance des décideurs publics à faire face à la gravité de la situation dans laquelle sombre irrémédiablement la Tunisie jour après jour, le changement (dans la façon de gérer la chose publique) s’impose car l’approche top-down ne fonctionne plus.
Comme l’a si bien fait remarquer Einstein «les problèmes ne peuvent être résolus au niveau de conscience où ils ont été générés». Les citoyens veulent qu’on leur dise comment obtenir des résultats extraordinaires avec un minimum de risques. La question clé reste alors de savoir comment réaliser ces changements à tous les niveaux de la société.
Une nouvelle forme de leadership agissant à partir d’un champ de possibilités futures (au sens de Otto Scharmer) doit apparaître et dont le principe clé n’est pas de servir un gâteau tout prêt, mais d’inviter les gens à la cuisine pour le préparer ensemble. Un groupe d’experts motivés par l’urgence d’opérer un changement profond définissent alors un espace de projet commun pour l’avenir de la Tunisie.
C’est la démarche qu’a adoptée l’ITES pour le lancement de son étude «La Tunisie dans dix ans» en appelant à un changement d’attitude et d’état d’esprit. En posant le diagnostic de la situation présente, l’ITES vise à «identifier les enjeux majeurs tant nationaux qu’internationaux et déterminer les grandes orientations stratégiques afin de jeter les bases d’une stratégie nationale hissant le pays au rang d’Etat émergent, résilient et réconcilié avec lui-même».
Au moment où la Tunisie vient d’entamer cahin-caha les négociations avec l’Union européenne sur l’Accord de libre- échange complet et approfondi, il est crucial de faire les bons choix et d’adopter une vision qui guidera le pays à moyen et long terme. Un champ de possibilités futures est censé «redonner espoir au peuple et à la nation tunisienne par la valorisation d’une approche participative et inclusive associant l’ensemble des forces vives de la nation».
Il est toutefois utile d’introduire deux bémols :
- La Tunisie n’évolue pas en vase clos et subit de plein fouet l’influence de l’Union européenne et sa politique de voisinage, car comme en physique quantique, l’observateur n’est pas neutre et modifie les résultats de son expérience. Cela veut dire que pour la Tunisie, la nouvelle politique de voisinage qui est en train de voir le jour, pourrait avoir un impact positif (ou pas).La crise économique et le pessimisme ambiant minant l’Union européenne de l’intérieur, d’une part, et l’absence de vision et d’une réelle volonté politique des Etats membres pour un vrai partenariat ambitieux avec les pays du voisinage ont entamé le « soft power » européen, déjà échaudés auparavant par les maigres réalisations vingt ans après la Déclaration de Barcelone.L’Union européenne est notre principal partenaire commercial et représente ainsi le principal débouché pour nos exportations. Cela est d’autant plus important que le marché intérieur tunisien est limité. Notre économie se caractérise donc par une forte orientation internationale. C’est à dire que notre prospérité dépend en grande partie des échanges commerciaux de biens et de services ainsi que des investissements internationaux. Ces relations devraient à terme se renforcer davantage avec l’aboutissement des négociations d’un Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) dans le cadre du Partenariat Privilégié entre l’Union européenne (UE) et la Tunisie agréé le 19 Novembre 2012, et qui fixe les axes prioritaires pour renforcer les relations bilatérales. Une intégration poussée avec l’Union européenne permettrait non seulement d’accroître les échanges commerciaux mais aussi – et surtout – d’épouser un projet «civilisationnel» fondé sur des critères précis (régime démocratique, économie de marché, Etat de droit et respect de l’acquis communautaire). Toutefois, cette intégration dépendra d’une alchimie complexe entre l’Union européenne et la Tunisie qui repose notamment sur la conditionnalité, la motivation et les intérêts des deux parties prenantes.
- Avant d’arriver aux dix ans, les prochaines années seront cruciales et nécessiteront un programme ambitieux et innovant pour la stabilisation de la Tunisie et la relance de son économie. Un plan de sauvetage de la Tunisie de l’ordre de 4 milliards de dollars par an sur cinq ans sera nécessaire pour des travaux d’infrastructure, le développement économique et l’insertion des jeunes. A l’heure où les défis se multiplient à l’intérieur de nos frontières, dans notre région et au-delà, il est impératif pour la communauté internationale de consolider son partenariat avec la Tunisie, afin d’en renforcer la résilience, soutenir le développement et la croissance des régions les plus pauvres, et lutter contre les causes profondes du terrorisme.Les attaques terroristes perpétrées au Bardo, Sousse, Tunis, Paris et ailleurs montrent que nous faisons face à des menaces de nature globale qui exigent un effort international considérable mais pas impossible. La Tunisie donne l’impression aujourd’hui de ne pas être capable de relever seule les défis en termes de réformes économiques, de lutte contre le chômage, et de réforme du secteur sécuritaire. Il incombe donc aussi à la communauté internationale de sauver la transition tunisienne vers la démocratie, en prenant les leçons de l’échec du Partenariat de Deauville, qui avait été mis en place lors de la réunion du G8 en 2011 et qui avait réuni 38 milliards de dollars pour accompagner le changement en Tunisie, en Egypte, au Maroc et en Jordanie.
En conclusion, et en paraphrasant Otto Scharmer, professeur d’économie de l’Université MIT, la période de transition post-révolution que nous vivons nécessite « une conscience nouvelle, un appel pour développer la capacité à diriger collectivement, afin de faire face aux défis de façon consciente, volontaire et stratégique ». Le développement d’une telle aptitude nécessitera l’union des Tunisiens, jeunes et moins jeunes, nouveaux et anciens, pour un passage de témoin, qui nous permettra de construire un avenir aux perspectives plus élevées.