Le nouveau gouvernement, formé par Fayez Sarraj, s’est vu refuser l’approbation du parlement libyen. On ne parle pas ici du « parlement » de Tripoli dominé par les milices islamistes et qui nous a habitués à ses refus systématiques de toute solution politique.
L’étonnement vient de Tobrouk où le parlement légitime et reconnu par la communauté internationale a refusé d’approuver le gouvernement prévu par l’accord de Skhirat du 17 décembre dernier, accord conclu entre différentes factions libyennes après de pénibles efforts, discussions et concertations sous l’égide de l’ONU. Sur les 104 députés présents, 89 ont voté contre le gouvernement de Fayez Sarraj. Les raisons invoquées consistent au fait que ce gouvernement comporte « un grand nombre de ministres » et « manque de compétences ».
Ces raisons ne sont pas crédibles. Tout d’abord, même si l’on admet que 32 ministres sont assez nombreux pour un gouvernement qui n’a pour le moment qu’une mission : stabiliser le pays et le nettoyer des terroristes, il ne faut pas perdre de vue les contraintes auxquelles était confronté le chef de ce gouvernement, obligé de satisfaire les différentes factions politiques et de prendre en compte les diverses considérations régionales et tribales pour pouvoir exister. Quant à la question de la compétence, on ne peut pas juger l’action des membres d’un gouvernement avant même qu’ils n’aient commencé à travailler.
Le problème avec le parlement de Tobrouk est qu’il est l’unique structure politique libyenne, légitime et internationalement reconnue, mais qui, à un moment aussi crucial, se comporte de manière aussi irresponsable que son rival de Tripoli. Car, compte tenu des cinq ans d’anarchie que connaît le pays, compte tenu de l’urgence absolue d’extirper l’hydre terroriste qui s’attaque maintenant aux régions pétrolifères, la sagesse la plus élémentaire et l’intérêt le plus évident de la Libye et des Libyens auraient été d’accorder la confiance au gouvernement Sarraj et de travailler avec lui. Ce n’est malheureusement pas le cas avec des députés qui s’amusent à chercher midi à quatorze heures, alors que leur pays est dévasté par les hordes terroristes.
L’important aujourd’hui pour la majorité des Libyens n’est pas de savoir combien il y a de ministres dans le gouvernement ou de préjuger de leurs compétences, mais de voir enfin le pays doté d’une autorité capable de le stabiliser après cinq ans d’anarchie et de terreur. Et à ce niveau, les députés de Tobrouk se trouvent aux antipodes des attentes de ceux qui les ont élus.
Les députés du parlement légitime n’ont pas été non plus à la hauteur des attentes de la communauté internationale, symbolisée par l’ONU, qui s’est dépensée sans compter pour aider la Libye à se doter d’un gouvernement. Dans la conférence de presse qu’il a tenue mercredi 27 janvier à Tunis, le représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU pour la Libye, Martin Kobler, n’a pas mâché ses mots en évoquant le vote contre le gouvernement Sarraj. Pour Kobler, « le parlement de Tobrouk n’a aucun droit de modifier les termes de l’accord de Skhirat qui prévoit la constitution d’un gouvernement d’union nationale. Cet accord doit être appliqué.»
En toute franchise, il est difficile de savoir ce qui se passe dans la tête des députés de Tobrouk qui, bien qu’ils ne disposent d’aucun pouvoir réel, d’aucune influence sur le terrain prennent tout de même le risque de se mettre à dos une bonne partie de la population libyenne ainsi que la communauté internationale.
Il va sans dire que le gouvernement de Fayez Sarraj n’aurait aucune possibilité de stabiliser par ses propres moyens un pays en décomposition avancée. Mais sa constitution fait partie d’un plan international dont le parlement de Tobrouk ne semble pas avoir saisi l’importance vitale, non seulement pour la Libye, mais aussi pour l’Afrique des deux côtés du Sahara.
Le plan est que, une fois constitué, approuvé par le parlement légitime et installé dans un lieu sûr en Libye, le gouvernement Sarraj lancera un appel à la Communauté internationale pour venir l’aider à nettoyer le pays des milices armées. Le Conseil de sécurité de l’ONU se réunira alors et votera une résolution sous le chapitre 7 autorisant le recours à la force pour protéger le gouvernement légitime du pays et l’aider à reconstruire l’Etat libyen en déliquescence. Le plan prévoit également la levée de l’embargo sur les armes imposé depuis des années à la Libye.
Alors que la classe politique libyenne continue de s’entre-déchirer, se souciant comme d’une guigne du sort du pays et de ses habitants, l’Etat islamique est en train de renforcer ses positions en Libye et de poursuivre son objectif stratégique qui consiste à faire la jonction avec les groupes terroristes au sud du Sahara, et notamment avec le plus important d’entre eux : Boko Haram.
Aux dernières nouvelles, l’Etat islamique serait en pleine concertation avec Al Qaïda en vue de mettre une sourdine à leurs différends et de s’allier pour avancer ensemble vers l’Est en direction de la Tunisie et de l’Algérie, et vers le Sud en vue de faire la jonction avec les groupes terroristes de l’Afrique subsaharienne.
Les Etats-Unis, la France, l’Italie et la Grande Bretagne semblent conscients de la stratégie de l’organisation terroriste Daech en Libye. Ils se sont engagés dans une course contre la montre en vue de contrer les plans de l’Etat islamique pour l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne. Selon le New York Times, qui cite le chef d’état major de l’armée américaine, le général Joseph Dunford, « la décision des Etats-Unis et de leurs alliés d’intervenir en Libye pourrait être prise dans les jours qui viennent. »
Dans les jours qui viennent, le parlement de Tobrouk risque de se trouver dans la situation peu enviable du spectateur impuissant qui s’est exclu de lui-même du processus politique libyen. A moins qu’il ne révise sa position et ne vote rapidement la confiance au gouvernement Sarraj qui attend impatiemment de quitter Tunis pour la Libye.