Le 16 décembre 2015, la Federal Reserve américaine a démarré son cycle de resserrement monétaire, mettant fin à sept années de politique de taux zéro. Les taux directeurs de la FED (Fed funds rates) qui évoluent entre 0 % et 0.25% passeront ainsi à la fourchette de 0.25% à 0.50%.
Une décision très attendue par les marchés. Un resserrement lourd de conséquences aussi bien pour les pays développés que pour le monde émergent.
Pour donner un éclairage sur les retombées de cette décision de la Federal Reserve américaine sur l’économie tunisienne, nous commençons dans ce billet économique publié par le Département Recherche de l’intermédiaire en Bourse MAC SA, par un bref rappel des raisons qui ont poussé la FED à normaliser sa politique monétaire. Ensuite, nous nous interrogerons sur les implications de ce resserrement sur l’économie tunisienne.
Durant ces dernières années, la FED, comme toutes les banques centrales engagées dans des politiques monétaires non-conventionnelles, s’est montrée très hésitante à définir de façon claire sa stratégie de sortie de crise. Sa décision de relever les taux a mis fin à toutes les spéculations sur l’abandon de sa politique ultra-accommodante.
Faut-t-il démarrer par des mesures conventionnelles (remontée des taux directeurs) ou plutôt mettre en priorité des mesures non-conventionnelles (dégonflement du bilan de la Banque centrale par la vente des titres achetés dans le cadre du quantitative easing)?
La FED a tranché. La priorité est de relever les taux. Le dégonflement prendra le temps nécessaire tant que la maturité des titres détenus dans son portefeuille n’est pas encore arrivée.
A quel rythme faut-il engager le resserrement? Resserrement graduel ou resserrement agressif?
La FED a clarifié sa position le 16 décembre 2015. Le choix s’est porté sur un resserrement graduel. Les craintes d’étouffer une reprise embryonnaire justifie la prudence de l’autorité monétaire américaine.
Quel est le bon timing?
La FED est consciente du danger qui la guette. Un resserrement tardif risque de réveiller l’inflation et un resserrement prématuré pourrait saper une reprise déjà molle et fragile. Plusieurs indicateurs ont poussé la Réserve Fédérale à déclencher le cycle de normalisation.
Depuis le mois de juin 2015, l’économie américaine n’a pas cessé de montrer des signes tangibles de reprise. Les enquêtes auprès des entreprises ont signalé une nette amélioration surtout dans le secteur manufacturier.
Les statistiques de l’emploi jusqu’à novembre 2015 (un taux de chômage autour de 5% en 2015 contre 10% en 2009) et de la croissance en T3 ont traduit le rebond tant attendu par les maîtres de la FED. D’ailleurs, la hausse des salaires confirme bien le nouveau cycle emprunté par l’économie américaine.
Ces différents signes ont forcé la Federal Reserve américaine à siffler la fin de la politique monétaire accommodante et l’ont amenée à normaliser sa politique monétaire, en relevant son taux directeur de 0.25% pour la première fois depuis près de 10 ans (juin 2006 la dernière hausse).
L’attention se porte beaucoup moins sur la décision de relever les taux directeurs que sur le rythme et le calendrier du programme de resserrement qui sera adopté par la FED.
L’autorité monétaire américaine a laissé entendre que ce resserrement serait progressif. Plusieurs arguments plaident pour une telle démarche.
Primo, la fragilité de la reprise américaine justifie la prudence de la Federal Reserve. Secundo, la vulnérabilité de la croissance mondiale (Europe et monde émergent) qui est loin d’être rassurante. Tertio, le niveau du taux réel des Fed funds d’équilibre qui demeure encore en territoire négatif
Enfin, l’orientation baissière des anticipations de l’inflation, boostée par la chute vertigineuse des cours pétroliers, risque de creuser l’écart entre le taux d’inflation réalisé et l’objectif de 2%, affectant ainsi la crédibilité de la FED.
Implications sur l’économie tunisienne
Certes, les retombées du durcissement de la politique monétaire américaine sur la Tunisie demeurent minimes si nous les comparons aux effets déstabilisateurs affectant certains pays du Golfe, d’Amérique Latine ou d’Asie : des sorties massives de capitaux et une forte dépréciation du taux de change, etc.; des pays déjà largement fragilisés par l’effondrement des prix des matières premières. Le durcissement de la politique de la FED affecte l’économie tunisienne via plusieurs canaux.
- L’appréciation du dollar
Le changement de cap de la politique monétaire de la FED a rapidement déclenché des mouvements de sorties massives de capitaux du monde émergent et un retour vers les Etats-Unis. Ce positionnement sur le dollar a provoqué la montée des pressions baissières sur les devises émergentes et l’appréciation de la monnaie américaine.
Une telle appréciation serait certainement désinflationniste aux Etats-Unis, dans la mesure où elle empêche l’inflation de flamber pour retrouver rapidement son objectif de 2%.
Mais elle serait génératrice de poussées inflationnistes (inflation importée) en Tunisie, empêchant l’inflation de percer à la baisse la barre de 4%. De même, elle serait déstabilisante pour le budget de l’Etat de 2016 qui repose sur un dollar à 1.97 TND alors qu’il a déjà franchi la barre des deux dinars, avant la décision de la FED.
- Renchérissement du cours des produits de base importés
L’appréciation du dollar et le renchérissement de la facture des importations de produits de base pourraient être néfastes aussi bien pour la balance courante que pour le budget de l’Etat.
D’une part, la montée des cours exprimés en dinars renchérit la facture des importations et creuse, de ce fait, le déficit courant. Ainsi, l’effet positif de l’appréciation du dollar sur la compétitivité des produits tunisiens sera largement absorbé par le renchérissement des importations. D’autre part, le renchérissement du prix des produits importés pèsera sur le budget alloué aux subventions et mettra davantage de pression sur les finances publiques.
Fort heureusement, la chute des cours observée sur le marché pétrolier ne pourrait qu’adoucir l’effet négatif provoqué par la hausse du dollar.
- Renchérissement de la dette
Avec une dette externe dont le tiers est libellé en dollar, l’appréciation du billet vert pèsera lourd sur le budget de l’Etat. Rappelons qu’une appréciation du dollar face au dinar de 10 millimes fait supporter à la Tunisie un coût supplémentaire de 20 millions de dinars.
Certes, le trend baissier de l’euro et la chute du prix du baril de pétrole arrivent aujourd’hui à neutraliser partiellement l’effet dollar sur les finances publiques. Chose qui n’est pas garantie pour 2017. Car si la reprise faisait son apparition en Europe et dans le monde émergent, la normalisation des taux, surtout en Europe, pourrait pousser les taux longs vers des niveaux plus élevés et mettre l’euro sur un trend haussier, compliquant davantage l’équation de la dette tunisienne.
Comme le relèvement des taux directeurs américains a une portée planétaire, l’appréciation du dollar par rapport aux autres devises finira par pousser d’autres banques centrales, surtout celles dont la monnaie est ancrée sur le billet vert, à relever leurs taux directeurs. Ce qui est de nature à durcir les conditions de financement bilatéral pour la Tunisie. C’est le cas des pays du Golfe qui, à partir du 17 décembre 2015, ont été forcés de relever leurs taux.
Le Koweït a majoré son taux directeur de 25 pb (point de base), pour le ramener à 2.25%. L’Arabie Saoudite a relevé son taux directeur pour la première fois depuis 2009 de 0.25% vers 0.50%; les Emirats Arabes Unis ont augmenté leur taux des certificats de dépôt de 25 pb pour le ramener à 1,25%; Bahreïn a aussi relevé son taux de 25pb.
- Durcissement des conditions de sortie sur le marché international
La transmission des taux courts (du marché monétaire) au taux longs (du marché obligataire) pourrait renchérir les conditions d’emprunt sur le marché international, et du coup, la Tunisie serait forcée d’emprunter à un coût élevé.
Car les taux longs américains restent la référence sur le marché obligataire international.
Toutefois, la hausse des taux longs américains largement anticipée par les marchés suite au resserrement des taux de la FED, risque d’être insignifiante en 2016. L’écart de rendement très favorable aux bons du Trésor américain, par rapport aux titres souverains japonais et européens, continue de renforcer les positions acheteuses de titres longs américains et du coup permettrait de contenir toute pression haussière sur les taux.
Ainsi, pour ses sorties sur le marché international programmées en 2016, la hausse du coût de l’emprunt pour la Tunisie serait plus le résultat de la montée de son spread souverain (étroitement lié aux perspectives de l’économie tunisienne) plutôt que l’effet de la majoration du taux sans risque de référence (Treasury Bond américain).
- L’investissement étranger
Les Etats-Unis ainsi que les monnaies ancrées sur le dollar seront les plus attractives pour l’investissement étranger ( IDE et IDP ). Anticipant l’appréciation du dollar, les bailleurs de fonds internationaux seront de plus en plus tentés de réorienter leurs flux d’investissement vers les actifs en dollars. De ce fait, dans un environnement marqué par une réallocation des portefeuilles internationaux au profit du dollar et des monnaies ancrées sur le billet vert, la Tunisie ne pourrait pas espérer séduire facilement les bailleurs de fonds étrangers.
Un contexte très difficile, même pour ses partenaires du Golfe, où la force de frappe de leurs fonds souverains a été affaiblie par la chute vertigineuse des recettes pétrolières.
Un impact plutôt limité en 2016
Au total, les effets du changement de la politique monétaire américaine sur la Tunisie ne seront pas d’une grande importance, au moins pour 2016. Et cela pour un certain nombre de raisons. D’abord, les marchés ( devises et taux ) ont largement intégré l’entrée de la FED dans un cycle haussier de taux avant même la décision du 16 décembre. Ensuite, il ne faut pas surestimer le risque d’une hausse des taux longs qui finira par renchérir le coût des sorties de la Tunisie sur le marché international. C’est du côté du spread sur la Tunisie qu’il faut rechercher le risque de majoration du coût de l’emprunt tunisien, et non sur le marché obligataire américain. Car l’engouement des investisseurs pour les positions acheteuses en dollars reste intact, compte tenu de la faiblesse des rendements des titres longs japonais et européens. Un tel engouement permettrait de contenir la hausse des taux américains. Enfin, le fléchissement de la croissance dans le monde émergent et l’incapacité de la zone euro de sortir des méandres de la croissance anémique, pèseront sur les perspectives de la croissance américaine et de l’inflation, ce qui ne pourrait que plaider pour un rythme de normalisation beaucoup plus lent. Bref, un rythme de resserrement monétaire agressif, de la part de la FED, n’est pas à l’ordre du jour, pour 2016. Tous les scénarios resteront envisageables en 2017.