Et si après cinq ans de l’avènement de la révolution tunisienne nous revenons à la charge pour en parler dans l’horizon de la globalisation !
La tâche n’est pas aussi simple…
Les intellectuels et les politiciens occidentaux se sont appropriés l’événement en le désignant par une dénomination typiquement occidentale, « printemps arabe« , voire étrange, « révolution du jasmin », déniant ainsi à l’événement tunisien toute originalité. Les penseurs et politiciens tunisiens et arabes ont tenté de comprendre ce qui s’était passé en Tunisie à partir de la référence marxiste classique.
Pour ces derniers, et d’un point de vue marxiste, ce qui avait eu lieu ne pouvait prétendre satisfaire aux normes révolutionnaires : pas de leadership, ni de programme, ni de perspectives, et encore moins d’acteurs révolutionnaires. Il convenait dès lors, selon les plus pertinents d’entre eux, de se contenter de l’appellation « insurrections arabes » ou « processus révolutionnaires ».
J’en veux à ces penseurs pour leur lecture et analyse superficielles de l’événement tunisien, de notre événement :
D’après eux, il n’y aurait ainsi qu’une seule voie révolutionnaire : celle des révolutions occidentales, démocratiques ou socialistes. Une voie qui se voit empruntée par les « filles » de ces révolutions : chinoises, cubaines…Les autres, en l’occurrence la nôtre « ne devant qu’être semblables » à celles du Moyen âge européen des « révolutions de paysans » ou révoltes de « peuples sans histoire ».
Leur difficulté vient de la tendance à analyser les mouvements sociaux tunisiens à travers des modèles qui s’adaptent plutôt à l’histoire européenne jusqu’à la Première Guerre Mondiale sans se préoccuper d’aucune manière de la nouvelle donne, celle de la nouvelle phase de la Globalisation Capitaliste, principale responsable de tous les maux de la planète. Force est de dire que toutes ces attitudes sont toutes occidentalisées, et ce, d’une manière plus ou moins déguisée voire même préméditée. Une réforme de notre système éducatif et du marché de l’emploi aurait dû être engagée depuis longtemps. Elle aurait pu nous épargner ce que nous endurons de nos jours.
Le fer de lance de la révolution tunisienne fut la jeunesse : un taux élevé du chômage des jeunes diplômés en Tunisie atteignant les 35 % de la population jeune, appartient à la force de travail cognitive, mais seulement 10 % travaillent. Ceci a été rendu possible par ce qui s’est passé à l’échelle globale : la transformation du travail de l’industriel vers l’immatériel, conjuguée aux transformations terrifiantes que le néolibéralisme a imposées sûr et à travers ces changements de la figure du marché de l’emploi ainsi que de la nature de la force du travail, et ce, à travers ses structures (Bailleurs de Fonds, FMI, Banque Mondial…).
Autant d’éléments qui expliquent que cette jeunesse est l’acteur de la révolution, accentuée par la complicité entre le pouvoir local caractérisé par la combinaison d’une dictature mafieuse, une corruption incompressible et un système répressif et cruelle et des puissances occidentales qui ont fermé l’œil sur les pratiques du précédent pour ses services de garde des frontières sud de tout danger de la menace islamique. Tout ce qui précède me semble conforme à notre situation, sauf un seul point où se concentre la majorité des difficultés que nous vivons : notre situation politique actuelle.
L’événement tunisien face à la globalisation capitaliste
La société politique tunisienne se divise aujourd’hui en deux courants vis à vis de la globalisation capitaliste. Il y a ceux qui s’y opposent, comme les radicaux ; il y a ceux qui cherchent à s’y ancrer encore plus profondément, à savoir les groupements économiques et autres groupements de la société civile qui veulent une assimilation rapide dans et par la globalisation capitaliste. De par sa modernité et son ouverture, la Tunisie, selon ces derniers, doit rechercher cette assimilation : si le régime déchu avait empêché son inscription naturelle au sein de ce processus, plus rien, aujourd’hui, ne saurait entraver un tel cheminement, depuis, précisément, que les habitants des régions intérieures du pays ont chassé le dictateur. Le conflit est alors inévitable entre ceux qui résistent à ce processus et ceux qui cherchent à le promouvoir via les malversations de la Banque Mondiale, de l’Union Européenne mais aussi les politiques de crédit et d’investissement.
Ceci s’amplifie par l’existence d’un profond conflit des légitimités aujourd’hui en Tunisie, produit du ‘’processus révolutionnaire’’ lui-même. On trouve dans le paysage politique ceux qui aspirent à ‘’protéger » la révolution de ses ennemis en la transformant contre l’autoritarisme politique et l’injustice sociale en une ‘’réappropriation de l’identité arabo-musulmane’’, c’est-à-dire en transformant une révolution démocratique et sociale en une ‘’révolution politique conservatrice’’ opposée à une ‘’contre-révolution culturelle’’, celle de la culture ‘’laïque’’ et ‘’mondaine’’ censée avoir perverti de nombreux aspects de l’existence en Tunisie depuis le début du vingtième siècle : enseignement moderne, égalité des sexes, ouverture sur les autres cultures ainsi qu’une certaine liberté de pensée et de création théorique et artistique.
A côté de cette légitimité électorale, une légitimité de compromis qui »prétend être » elle aussi, le produit de la révolution et qui se trouve être en réalité plus proche de la légitimité juridique et morale, que celle de la ‘’société civile’’ laïque qui est à l’origine de la transformation de l’action révolutionnaire en une transition démocratique de la pire espèce, semblable à ce qui a eu lieu en Amérique du Sud et en Europe de l’Est. Cette légitimité de compromis qui affirme son caractère révolutionnaire et ayant réalisé ses objectifs politiques, s’attache à présent à mener à bien ses objectifs proprement libéraux, politiques et économiques, et à consolider ses acquis civils.
On compte enfin une légitimité de facto, authentiquement révolutionnaire, issue des forces révolutionnaires à l’origine de l’insurrection initiale dans les régions intérieures de la Tunisie et qui s’oppose aux deux légitimités précitées. Avec « la révolution continue » comme maître-mot et emblème de leur action, ces forces veillent à la réalisation des objectifs révolutionnaires et à la promotion des acquis sociaux.
Ce qui se passe en Tunisie ne se passe pas de manière traditionnelle. Il s’agit d’un autre type d’impérialisme, celui de la globalisation capitaliste à laquelle obéit la logique post – révolutionnaire en Tunisie, dont la consigne pourrait être : « Faites ce que vous voulez, agissez en islamistes ou en laïcs, mais gare à vous si vous touchez au système global post-colonial ».
Dès lors, que faire ? Faut-il tourner le dos à la Globalisation Capitaliste, en nationalisant les banques, en supprimant le tourisme et en mettant l’accent sur les industries de transformation ? Cela provoquerait l’effondrement de la société postcoloniale elle-même, un effondrement que l’on observe dans de nombreux pays, à l’instar du Yémen ou la Somalie. Faut-il le rompre ‘’partiellement’’ et constituer des »zones ciblées » de résistance à la Globalisation Capitaliste plutôt que de former des pôles en son sein ?
C’est là, selon mon souhait, le sens de la transition tant espérée : pas une simple transition politique libérale et démocratique ou religieuse, mais une transition portée conjointement par des »partis politiques locaux » dotés de réels programmes et des réformes socio-économiques globaux, souveraines et ouvertes à une « globalisation capitaliste positivée » ; anti-globalisation capitaliste postcoloniale et qui s’indigneraient de la globalisation capitaliste et néolibérale et autoritaire, épargnant notre pays de sévir davantage. Force est de reconnaître que ce que nous devons affronter est de présenter des réponses adéquates à des exigences et contraintes à la fois locales et globales mais sans porter atteinte à notre dignité, notre indépendance, notre avenir et celui de nos enfants.
Aristote : « Une hirondelle ne fait pas le printemps … »
Aritoste avait raison bien que la révolution tunisienne ait été l’hirondelle des insurrections arabes. Certes, la révolution tunisienne n’a pas encore fait le ‘ »printemps arabe », et ce, en raison de la corrélation de multiples variables internes qu’externes qui continuent d’alimenter le « froid hivernal glacial de la globalisation capitaliste ». Le printemps ne peut être que global et commun, même si quelques-unes de ses prémices laissent entrevoir la possibilité d’une « hirondelle locale ». Je l’espère de tout mon cœur.
Quoi qu’il en soit, la reconstruction de notre pays se devrait d’être par définition : « Glocale » : passer nos intérêts locaux en priorité tout en s’inscrivant dans la globalisation capitaliste, la seule manière de se libérer de la globalisation capitaliste, inégale et combinée et permettant à notre pays de concevoir son avenir avec dignité et souveraineté.
Soyons optimistes : ce sera difficile, mais il y a une chance … ça ne dépend que de nous !