La situation demeure floue sur le plan politique et économique, du moins c’est ce que pensent une bonne partie des Tunisiens. Le paysage socio-politique oscille entre les mouvements de protestations sociales sur l’ensemble du territoire tunisien et la création de nouveaux partis politiques, suite à la scission du parti majoritaire Nidaa Tounes. Pour mieux comprendre où nous en sommes, Riadh Sidaoui, politologue, dresse un bilan. Interview.
leconomistemaghrebin.com : Comment voyez-vous le paysage politique actuel?
Riadh Sidaoui : Ce qui se passe en Tunisie est normal par rapport au système politique tunisien. Dans le système parlementaire, il n’y a pas un parti qui bénéficie d’une majorité absolue afin de former à lui tout seul le gouvernement, comme ce fut le cas de la Turquie par exemple, quand Erdogan a perdu les élections et a organisé de nouvelles élections anticipées afin d’avoir cette majorité, car il ne pouvait pas gouverner dans une coalition.
Pour la Tunisie, c’est différent, jusqu’à maintenant aucun parti n’a pu avoir la majorité absolue. Donc la solution était de passer par une coalition, qui fut d’abord la Troïka, puis aujourd’hui, quatre partis au pouvoir. Cependant, il faut aussi se rappeler que les coalitions tombent aussi facilement qu’elles se composent, comme la crise de Nidaa Tounes en témoigne.
A ce niveau, seul Ennahdha reste le premier parti politique à la tête du Parlement. Cette composition parlementaire est fragile, car il y a beaucoup d’agitation au sein du gouvernement.
Comment trouvez-vous la situation économique actuelle en Tunisie?
La situation actuelle en Tunisie est chaotique, sur le plan économique et social. J’étais parmi les premiers à avertir les élites politiques, en tant que politologue, depuis le déclenchement de la Révolution. J’ai dit que la révolution tunisienne est une révolution sociale, faite par des mouvements sociaux et dont les slogans étaient scandés au nom de la liberté, l’emploi et la dignité nationale.
Transformer ces slogans en économie sociale, cela veut dire que la Tunisie doit adopter une démocratie sociale, comme ce fut le cas en Europe de l’Ouest. La démocratie sociale veut dire l’existence de l’Etat providence.
Or, les citoyens ont un double contrat avec l’Etat, un contrat politique lors des élections, mais surtout un contrat social. Cela veut dire que mon Etat me protège : si je n’ai pas de travail, je touche des allocations de chômage, j’ai droit aussi à un logement. Mais où va-t-on trouver cette caisse ? C’est à travers les impôts qu’on fait la redistribution de la richesse et qu’on achète la paix sociale. Tel est le cas en Europe, en particulier, en France. Quand le président français, François Hollande, a gagné les élections, il a mis en place un nouveau système d’impôts. Ainsi, ceux qui ont un revenu d’un million d’euros et plus par an seront taxés à hauteur de 75% de leurs gains.
Que pensez-vous de la décentralisation? Les élections municipales?
Dans la démocratie tunisienne, on n’a pas encore la démarche de passer du central vers le local. Ainsi, la nomination des délégués et sous-délégués dépend toujours des instances de la Capitale, alors que, comme dans toute démocratie, les collectivités locales devraient être élues localement.
Il s’agit là d’un grave problème en Tunisie, car le fossé se creuse de plus en plus entre les élites, les acteurs politiques et une jeunesse longtemps marginalisée. D’autant plus qu’on assiste à une décadence de la classe moyenne qui a perdu 40% de son pouvoir d’achat entre 2011 et 2015, selon les données de l’INS. Nous sommes face à une phase de déclin. Vous savez, les démocraties se fondent sur la base de la classe moyenne qui représente la colonne vertébrale de toutes les démocraties. En somme, pas de classe moyenne, pas de démocratie.
La politique tunisienne arrivera-t-elle à relancer l’économie du pays?
La réponse est non. Si je devais donner un chiffre, l’économie tunisienne a besoin d’entre 10 et 20 milliards d’euros, et non de quelques millions. La politique tunisienne n’a fait que ramener des miettes. Que ce soit le Chef de l’Etat, ou le Chef du gouvernement, ou encore les gouvernements qui se sont succédé, au final, tous ont subi de graves échecs.
Il faut aussi comprendre que la France et l’Union européenne n’ont pas d’argent frais, eux-mêmes cherchent des crédits auprès de la Chine, des pays du Golfe, entre autres.
De quelle manière se positionne la diplomatie tunisienne auprès de ses partenaires?
Je pense que la Tunisie est un pays qui se vend. La diplomatie tunisienne doit chercher son intérêt avant tout. Cependant, il y a des échecs retentissants, notamment quand l’ex-ministre des Affaires étrangères, Taïeb Baccouche, essaie de renouer avec la Syrie, par la réouverture d’un consulat et que cette décision est toujours en suspens. La responsabilité en revient à l’ancien président Moncef Marzouki quand il a rompu brutalement les relations diplomatiques de la Tunisie avec la Syrie. D’ailleurs, nous l’avons payé très cher puisque nous avons le plus grand nombre de djihadistes tunisiens partis en Syrie. La diplomatie tunisienne doit s’impliquer davantage pour remonter la pente.
Quelles sont les solutions, selon vous, pour booster la politique tunisienne?
Je pense que l’exemple de la Suisse est un bon exemple quand on évoque « la formule magique de l’année 1959 », qui tient bon.
Or, le conflit en Tunisie est très social et oppose la gauche à la droite, comme dans toutes les démocraties du monde. Ce conflit dans lequel nous nous trouvons est normal. Ce qui n’était pas le cas il y a deux ou trois ans de cela, lorsque le conflit opposait laïcs et islamistes. Aujourd’hui, c’est la logique démocratique qui prime. Les conflits sont plus sociaux, de gauche et de droite. C’est un excellent pas vers la conscience politique.
Êtes-vous optimiste ou pessimiste?
En faisant un diagnostic de la situation, il n’y pas un côté émotionnel. On ne peut parler ni de pessimisme, ni d’optimisme, mais si vous voulez de réalisme. Il y a eu tous les gouvernements qui se sont succédé et qui ne reflètent pas la jeunesse tunisienne, ni les slogans de la révolution sociale d’ailleurs.
Cependant, on continue dans la même économie sociale, la même politique étrangère, en gardant les mêmes choix ; et après on demandera des miracles.