Quelles seraient les répercussions d’une éventuelle intervention militaire en Libye sur la Tunisie ? Pour Mohamed Salah Hedri, colonel de l’Armée tunisienne à la retraite, expert en stratégie militaire, président de l’Association des brigades de défense civile et chercheur en sciences politiques, bien avant de répondre à cette question, il faut comprendre la situation et évaluer les scénarios possibles, afin d’en mesurer les conséquences. Il s’agit en fait d’imaginer un scénario catastrophe.
La menace existe bel et bien, il ne faut pas la minimiser
Notre interlocuteur a rappelé la déclaration du secrétaire d’Etat au Département, John Kerry, lors d’une conférence de presse tenue au siège du ministère des Affaires étrangères à Tunis sur l’existence de menaces terroristes sérieuses. Ces menaces sont « les armes de destruction massive » qui sont, d’après l’expert en stratégie militaire, de trois types: nucléaire, chimique et biologique. « Il ne faut pas exclure la possibilité que l’organisation terroriste Daech ait en sa possession des engins nucléaires, contrairement à ce que prétendent certaines personnes non averties », a-t-il déclaré.
La « bombe sale » est une bombe classique qui contient des matières radioactives comme l’uranium provoquant des radiations nucléaires très dangereuses pour l’homme, les animaux, la végétation et la terre. Il n’est pas à exclure que Daech dispose de cette arme. Pour les armes chimiques, il a rappelé que les Renseignements ont montré que l’organisation terroriste a utilisé le gaz moutarde en Irak, arme biologique des plus faciles à fabriquer.
De même, Mohamed Saleh Hedri a rappelé que Barack Obama a averti récemment que le danger que représente Daech ne cesse de s’aggraver. Les terroristes ne font qu’affluer en Libye parce que nombre d’entre eux ont fui la Syrie, sans parler des nouveaux candidats au « Djihad » qui ont mis le cap sur la Libye, la Syrie étant devenue d’accès difficile.
Dans le même contexte, des sources bien informées indiquent l’existence de plusieurs terroristes tunisiens en Libye voulant s’attaquer à la Tunisie: « D’ailleurs à partir de Syrte, ils veulent s’emparer de Misrata, qui est en état d’alerte et que les habitants se préparent à défendre », précise-t-il; avant de rappeler que Misrata est située à 70 kilomètres de la frontière tunisienne.
Intervenir militairement en Libye mais comment?
Face à cette menace grandissante, Barack Obama avait annoncé que si les choses venaient à empirer, les forces américaines, de même que l’Italie et la France pourraient intervenir. Trois types d’intervention sont alors possibles d’après notre Colonel :
1/ Frappes chirurgicales pour contenir la menace de Daech;
2/ Frappes continues pour détruire les troupes de Daech au sol;
3/ Intervention terrestre, aérienne et avec des navires de guerre en appui.
Mohamed Saleh Hedri exclut la troisième possibilité, car d’après lui: « Daech est une création américaine avec le concours d’Israël et de la Grande-Bretagne afin d’engendrer l’anarchie dans le monde arabe ». L’intervention russe en Syrie a contrarié les plans américains qui voudraient que Daech continue d’exister, mais sans prendre beaucoup d’ampleur. Contrairement à l’Europe qui a intérêt à détruire Daech, afin de contenir la vague d’immigrés qui ne cesse d’enfler.
Pour stopper le chaos en Libye, il faudrait qu’un gouvernement d’union soit mis en place pour pouvoir solliciter formellement l’aide extérieure logistique, avec un appui aérien et maritime dans la lutte contre Daech. Sans cette condition, l’intervention extérieure est à exclure. « L’armée libyenne est sous la direction du Général Hafter », précise notre interlocuteur.
Et les répercussions sur la Tunisie ?
Une fois les hostilités déclenchées sur le sol libyen, l’exode va commencer vers le sol tunisien, d’après notre interlocuteur, mais ceci demeure relatif à la nature des hostilités. « S’il s’agit uniquement de frappes chirurgicales, il n’y aura pas de grands mouvements d’exode, mais si une grande guerre éclate, le mouvement d’exode atteindra son apogée », s’alarme-t-il.
De plus, intervenir militairement en Libye implique l’utilisation de l’espace aérien tunisien, chose que les autorités tunisiennes ne sont pas prêtes à accorder. Mais l’intervention militaire extérieure passera outre, même si cela constitue une violation de la souveraineté nationale, affirme-t-il.
Quant à l’exode, selon le scénario catastrophe d’une guerre de grande ampleur, il aura de lourdes répercussions économiques, ce qui aggravera la récession par laquelle passe le pays.
Au niveau sécuritaire, Mohamed Saleh Hedri n’a pas exclu le fait que des terroristes s’infiltrent parmi les réfugiés civils, ce qui va compliquer la tâche des sécuritaires préposés au filtrage des réfugiés et à leur fouille systématique.
En tout état de cause, « la Tunisie doit s’abstenir d’intervenir militairement en Libye, pour ne pas compromettre l’avenir de nos relations », conclut-il.