La guerre est-elle à l’ordre du jour en Libye ? Suite aux raids russes, américains, français et anglais, en Syrie et en Irak, les jihadistes de la mouvance de Daech ont choisi la Libye comme base de repli.
Ils se sont d’abord installés, dès 2014, en Cyrénaïque, autour de Benghazi et de Derna, dans l’est du pays. Syrte, sur la côte méditerranéenne, est actuellement leur nouveau fief. Ils y occupent une bande littorale d’environ 250 kilomètres de long et tentent de s’approprier les sites d’exportation de pétrole vers l’Est (Mireille Duteil, » Faut-il intervenir en Libye ?, le Point.fr, 5 février 2016). Forces d’instabilité, ils menacent le pays, son voisinage, le Sahel africain et bien au-delà.
« Une Libye stabilisée est dans l’intérêt de tout le Maghreb et de toute l’Europe… Les Européens doivent prendre toute la mesure des conséquences économiques, sociales et sécuritaires que l’instabilité en Libye fait peser sur la paix civile et la croissance économique chez vous et chez vos voisins » (déclaration du président du Parlement européen, Martin Schulz, devant le Parlement tunisien, 8 février 2016).
Selon le Financial Times, le Pentagone a confirmé, le 27 janvier 2016, que Washington étudiait « des scénarios militaires en Libye en cas de renforcement de la menace terroriste, émanant de Daech ». Une réunion de la coalition internationale contre Daech a été organisée, le mardi 2 février, à Rome avec la participation de quelque 23 pays présents au niveau ministériel ou de représentants diplomatiques, autour de l’Américain John Kerry. »La dernière chose que nous voulons dans le monde, c’est un faux califat ayant accès à des milliards de dollars de revenus en pétrole », a souligné le 2 février, le secrétaire d’Etat américain John Kerry, à l’issue d’une réunion de la coalition internationale de Rome.
Le gouvernement italien a voulu réunir ses alliés en vue d’une intervention contre Daech. «La Libye ne peut plus attendre. On agira. Mais avec les alliés», déclarait dès le 16 janvier dernier Roberta Pinotti, ministre de la Défense italien. Tout en parlant d’un nécessaire feu vert du gouvernement libyen, en formation, on évoque volontiers la possibilité de transgresser cet accord, sous deux conditions: une avancée des forces de l’État islamique, sur la côte, vers l’Est pétrolier, ou le grand Sud ou un attentat terroriste majeur sur le sol européen, dont il serait avéré qu’il résulte d’une filière libyenne. « Aucune de ces perspectives n’est malheureusement à écarter » (Alain Barluet, Le Figaro, 1er février 2016).
Les états-majors occidentaux auraient mis au point leur scénario d’intervention, privilégiant les raids: suite à un accord des Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Italie, l’opération impliquerait 6000 soldats et marines US et européens. Pour bombarder en Libye, la Grande-Bretagne envoie des avions supplémentaires à Chypre, où sont déjà basés 10 Tornado et 6 Typhoon pour les attaques en Syrie et Irak, tandis qu’un contre-torpilleur se dirige vers la Libye.
Sont aussi déjà en Libye – confirme Difesa Online – certains groupes de Navy Seal américains. L’ensemble de l’opération sera formellement « sous conduite italienne ». Ce pays mettrait à disposition des bases et des forces pour la nouvelle guerre en Libye. Le commandement effectif de l’opération serait, en réalité, exercé par les Etats-Unis, à travers leur propre chaîne de commandement et celle de l’Otan, toujours sous commandement états-unien » (Manlio Dinucci, « Le plan de la conquête de la Libye, (revue de presse: il manifesto – 12).
Situation différente de la Syrie et de l’Irak, Daech, installé dans une région de plaines est plus exposé, donc plus facile à isoler et à mettre en échec, sans une mobilisation guerrière d’envergure. Prenons la juste mesure de la gravité du déclenchement d’une guerre asymétrique. La précédente intervention de l’Otan en Libye, en 2011, s’était soldée, en l’absence de structures étatiques évidentes, par l’institution du chaos.
Faut-il occulter les victimes collatérales d’une telle opération ? Les raids peuvent difficilement éviter les populations civiles. Elles démoliraient de fait les infrastructures. Engageant une guerre d’usure, comme les guerres en Irak, en Syrie et au Yémen, l’intervention instaurerait un état d’instabilité et de chaos permanents.
A l’instar de la crise syrienne, elle provoquerait un flux migratoire vers l’Egypte, la Tunisie, l’Algérie et bien entendu l’Europe, avec le risque d’infiltration de jihadistes. Faut-il sous-estimer ses effets sur les pays du voisinage maghrébin et égyptien ? N’aurait-il pas été possible de consulter les pays du voisinage et de se concerter avec eux, en accord avec le gouvernement libyen d’unité nationale en formation.
Dans l’état actuel des choses, l’Algérie affirme son opposition à l’intervention, la Tunisie exprime son inquiétude, alors que l’Egypte ne s’est pas encore prononcée. Faut-il sous-estimer les risques encourus, pour les pays du voisinage? Nous y reviendrons.