La transition économique en Tunisie est en panne. La croissance est faible, la macroéconomie fragile, le chômage élevé et l’investissement hésitant. Comment analyser cette situation et quelles sont les politiques à mettre en place pour en sortir? Quelques éléments d’explication….
Le rapport du Conseil d’administration de la Banque centrale de Tunisie (BCT), lors de sa réunion du 28 octobre 2015, offre une importante analyse de notre économie. Dans un style court et concis dans la pure tradition des communiqués de ces institutions, il a dit l’essentiel sur la situation de notre économie, lors des neuf premiers mois de l’année.
En l’occurrence, ce communiqué a mis l’accent sur quatre éléments essentiels dans son diagnostic. Le premier concerne le niveau de la croissance car s’il y a un tassement de la croissance tunisienne, les projections ne devraient pas dépasser les 0,5% au cours de l’année 2015. Une situation qui confirme la récession technique dans laquelle se trouve notre économie, avec un recul de la croissance pendant deux trimestres de suite.
Le second élément mis en exergue concerne le ralentissement du financement de l’économie. En effet, la Banque centrale a enregistré lors des derniers mois une baisse de la demande de crédits de la part de la plupart des secteurs économiques, particulièrement ceux qui sont orientés vers le financement des investissements. Le communiqué note que le taux d’accroissement du recours à l’économie est passé de 6,8% lors des neuf premiers mois de l’année 2014, à 3,3% lors de la même période au cours de l’année en cours.
Cette situation, et c’est le troisième élément mis en avant par la Banque centrale, s’est traduite par une baisse des besoins de liquidité des banques auprès de l’institut d’émission. Ainsi, le refinancement par la Banque centrale est en baisse par rapport à son niveau le plus élevé durant l’année en cours et qui s’est situé à 6,4 milliards de dinars le 14 juillet 2015, et à 4,9 milliards de dinars deux jours avant la tenue du Conseil d’administration, le 26 octobre 2015.
Enfin, le communiqué met en avant un autre élément essentiel qui concerne la baisse de l’inflation qui passe de 5,5%, au cours du premier trimestre de l’année, à 4,2% lors du troisième trimestre. Cette baisse s’explique, selon ce communiqué, par une baisse de la demande, notamment, des produits frais, du fait de la crise du secteur touristique et la baisse de la fréquentation des hôtels depuis les attentats de Sousse en juillet dernier.
Ainsi, le communiqué de la Banque centrale a l’art de nous dresser un tableau exhaustif de l’état de notre économie avec peu d’éléments. Il s’agit d’une situation économique marquée par la baisse de la croissance et celle de la demande qui sont au cœur d’un relâchement de l’inflation et d’une diminution des demandes de financement de l’économie. Il s’agit d’une situation que les économistes connaissent bien et craignent beaucoup. En effet, pour eux, la concomitance de la baisse de la croissance ainsi que celle des prix avec la montée du chômage sont les signes avant-coureurs de tensions déflationnistes. Les économistes connaissent ces situations et beaucoup de pays ont connu des épisodes déflationnistes plus ou moins profonds, le plus connu est celui qui a mis l’économie mondiale au bord du gouffre lors de la grande crise de 1929. Une déflation qui n’a pu être dépassée que grâce au génie du maître de Cambridge, John Maynard Keynes.
Si cette situation est familière, les économistes craignent ses enchaînements et son emballement qui peuvent enfoncer notre économie dans une situation beaucoup plus difficile. Le premier enchaînement concerne le recul de l’inflation qui peut encourager les consommateurs à différer leurs achats et leur consommation en anticipation d’une baisse plus importante des prix. En même temps, les entreprises qui observent une baisse de la demande et anticipent son aggravation vont aussi retarder leurs investissements en attendant des jours meilleurs. Ainsi, progressivement se met en place l’enchaînement infernal de la déflation, où la baisse nourrit la baisse et l’économie s’enfonce dans une situation de récession profonde, entraînant une explosion du chômage.
Ce sont cette situation et ses enchaînements dangereux que les économistes et les politiques économiques cherchent à éviter. Pour échapper à la déflation, nous devons mettre en place deux outils. Le premier est celui de la politique monétaire qui, en prenant un tournant expansionniste, pourrait encourager l’investissement et le recours au financement bancaire. Et, c’est ce que la Banque centrale avait actionné après que son Conseil a décidé lors de sa dernière réunion de baisser son taux directeur de 50 points de base, passant alors à 4,25%.
L’autre outil pour faire face à la déflation concerne la politique budgétaire et plus particulièrement la poursuite d’une politique volontariste et déterminée d’accroissement de la relance des investissements publics et non pas la consommation finale, afin non seulement de relancer la demande publique, mais aussi pour sortir l’investissement privé de sa frilosité.
L’avantage de ce communiqué du Conseil d’administration est de nous avoir offert en peu de lignes une analyse fine de l’état de notre économie. A nous de mettre les politiques nécessaires en place pour échapper au spectre déflationniste, que le communiqué de la BCT met en exergue sans le nommer, en renforçant la politique monétaire expansionniste par une relance budgétaire ambitieuse par le biais des investissements.