La progression, depuis le 1er février, des forces de Damas, à Alep, qui s’inscrit dans la nouvelle donne géopolitique régionale et internationale, induit un changement des rapports de forces.
La deuxième ville du pays, bastion des rebelles, est désormais assiégée par les troupes gouvernementales. Soutenues par l’aviation russe et des miliciens chiites venus d’Iran, d’Irak et du Liban, les forces du régime, appuyées par les kurdes, coupent les principales voies d’accès entre les zones rebelles et la Turquie. La prise d’Alep, à plus ou moins brève échéance, serait une victoire stratégique majeure sur l’insurrection armée.
L’entrée en scène de la Russie a, en effet, inversé les rapports de forces. Le déclenchement de la bataille d’Alep a fait valoir la solution militaire sur les négociations formelles et d’ailleurs sans perspectives. Réunis à Munich à la fin de la semaine, le 13 et le 14 février 2016, les Occidentaux et les Russes ont tenté de trouver les bases d’une trêve, permettant de relancer des négociations qui n’ont en fait jamais commencé. D’autre part, les protagonistes de la crise, les parrains de la résistance et ceux du pouvoir n’ont pas le même agenda.
Chacun assure être en guerre contre le «terrorisme», mais n’identifie pas le même adversaire : le Qatar et l’Arabie saoudite s’opposent à Bachar al-Assad. La Turquie partage cette vision, mais accorde la priorité à la lutte contre les Kurdes, pourtant mobilisés contre Daech. La Russie et l’Iran, soutiennent les vues du régime. Le clan adverse les accuse de combattre les rebelles syriens modérés plutôt que les djihadistes les plus durs. »Il est essentiel que la Russie change de cibles… Nous déterminerons (ensemble) ce qui doit être visé, ce qui ne devrait pas l’être… parce que, de toute évidence, si ceux qui sont prêts à participer au processus politique sont bombardés, on n’aura pas beaucoup de conversation », a insisté John Kerry, lors de la conférence de Munich.
En réponse, le Premier ministre russe Dmitri Medvedev critiqua « la russophobie », estimant que les relations russo-occidentales, minées par la crise en Ukraine et le conflit en Syrie étaient entrées dans une nouvelle guerre froide, tout en appelant au dialogue. »Ce qui reste c’est une politique inamicale (…) de l’Otan vis-à-vis de la Russie… Nous avons glissé dans une période de nouvelle guerre froide« , a-t-il déclaré, à la Conférence de sécurité de Munich. « A-t-on vraiment besoin d’un troisième séisme mondial pour comprendre qu’il faut de la coopération plutôt que la confrontation? », a-t-il martelé.
Les parrains de l’opposition critiquaient volontiers « le laisser-faire » du Président Obama. A quelques mois des élections, il évite de faire monter les enchères.
La Turquie s’inquiète de l’avancée des forces kurdes et de leurs succès spectaculaires, lundi 15 février. Ils menacent désormais de contrôler Tall Rifaat, un des trois derniers grands bastions des rebelles dans la province. Ankara, qui craint maintenant que les Kurdes ne prennent le contrôle de toute la frontière, a jugé prioritaire de les combattre. Malgré les appels lancés par Washington et Paris à y mettre fin, M. Davutoglu a prévenu que ces bombardements allaient se poursuivre. Cette position turque embarrasse les Occidentaux, qui sont à la fois alliés de la Turquie au sein de l’Otan et des Kurdes, qu’ils considèrent comme la force la plus capable de lutter contre Daech qui contrôlent une partie de la Syrie et de l’Irak. Ces bombardements ont été condamnés par la Russie, les USA et la France.
Constatant le rééquilibrage des forces en faveur du gouvernement de Damas, la Turquie et l’Arabie saoudite– considérées comme « les perdants » de la nouvelle donne (éditorial du journal Le Monde, « les dures leçons d’Alep », 9 février 2016)- tentent d’opérer un changement de stratégie. Elles annoncent qu’elles pourraient mener une opération terrestre, en Syrie. Le groupe Etat islamique ( EI ) constituerait leur cible officielle. Mais elles feraient valoir, dans leur croisade, leur propre définition de leurs alliés et de leurs adversaires. Ce qui rend plus complexe les processus de sortie de crise.