La société civile que peut-elle faire pour le développement régional et l’économie en général en Tunisie ? Le troisième panel du séminaire « Quel rôle doit jouer la société civile pour faire face à la situation socio-économique actuelle ? », organisé par l’association Tunisia for all, s’est penché sur cette question afin de trouver des débuts de réponse.
Karim Ben Kahla, professeur universitaire et président de « «l’association deuxième chance », estime que la situation économique n’incite pas à l’optimisme, car « ce que nous vivons aujourd’hui, ce n’est pas uniquement une crise de gouvernement, c’est aussi une crise de gouvernabilité » et de continuer : « Les fonctions de l’Etat ont bel et bien évolué et l’Etat doit jouer de nouveaux rôles ».
D’après notre interlocuteur, un Etat doit être un stratège mais « comment être un Etat stratège après avoir été un Etat providence ? » s’interroge-t-il. Pour lui, un Etat stratège est un Etat qui a une vision, qui agit pour le développement et qui se donne les moyens pour innover.
Parmi ces moyens que l’Etat utilise, il y a le Conseil d’analyse économique qui, d’après l’intervenant, constitue une idée importante. Cependant, il a rappelé qu’au début, l’idée visait la création d’un conseil d’analyse économique sociale et environnementale parce que société, environnement et économie sont intimement liés.
Pour lui, la Tunisie a emprunté le modèle français cependant, elle a ignoré les plus importantes spécificités de ce modèle. Dans le texte fondateur du Conseil économique français , il est stipulé que toutes les sensibilités économiques doivent être représentées dans le conseil. La deuxième spécificité est relative à son indépendance. Cependant, dans le modèle tunisien, le conseil est chapeauté par le Présidence de la République. Ainsi, il a estimé qu’il n’existe ni diversité, ni indépendance dans le conseil d’analyse économique. On ne peut « imaginer un Etat stratège sans indépendance et sans diversité », lance-t-il.
Sur un autre volet, il a indiqué que le plan des grandes réformes préparé par le Conseil économique vient après la note d’orientation alors que pour l’intervenant, il aurait été préférable de réfléchir sur les grandes réformes bien avant.
« Ce plan ne contient pas d’évaluation et la partie recommandations n’évoque pas la politique industrielle, ce qui peut être un choix dû à la composition du conseil », indique-t-il. L’intervenant a pointé du doigt le fait que rien n’a été dit sur le secteur informel, la corruption et l’environnement international. Par ailleurs, il a annoncé l’existence de réformes présentées comme étant de nouvelles réformes mais, en vérité, elles ne le sont pas et datent de l’ère de Ben Ali. Pour conclure, il a avancé que le Conseil d’analyse économique fait du copier-coller des rapports de la Banque mondiale et de ceux du FMI.
Nouredine Taktak, ancien directeur général de l’Agence de Promotion de l’Industrie, a quant à lui préféré parler de l’entrepreneuriat. Il a rappelé que la Tunisie a créé un centre dédié au lancement de l’entrepreneuriat en 1993 et pour lutter contre le chômage.
Cependant, il a regretté que plusieurs ministères aient créé les mêmes structures ainsi « l’espace de l’initiative, les pépinières de l’entreprise et les centres d’entrepreneuriat assument les mêmes rôles avec pratiquement les mêmes experts », précise-t-il.
Il a souligné le rôle important des associations en matière d’aide et d’assistance aux entrepreneurs et elles ont reçu des dons étrangers pour accompagner les jeunes. Il a évoqué la nécessité de créer une chaîne de valeur : « Il faut qu’il y ait une coordination entre les différents acteurs avec un grand rôle pour la société civile ». Il a souligné l’importance de l’entrepreneuriat féminin en Tunisie et a appelé à lui dédier une section surtout que « l’expérience a bel et bien montré que plusieurs entreprise menées par des femmes ont réussi ». D’ailleurs, d’après le même intervenant le classement de la Tunisie en matière d’entrepreneuriat féminin demeure faible dans le bassin méditerranéen, comparé aux expériences étrangères. Revenant sur le profil de l’entrepreneur, il a indiqué qu’il s’agit d’une personne qui a le goût du risque et dispose des qualités d’un leader.
Pour Mohamed El Moatamed Ben Mahmoud, président de la Plateforme tunisienne d’Economie Sociale & Solidaire (PLATESS) l’économie sociale et solidaire n’est pas une alternative à l’économie classique mais un secteur déterminant pour booster le développement. L’économie sociale et solidaire a prouvé son efficacité partout dans le monde d’après l’interlocuteur (France 10% du PIB et en Espagne plus d’un 1 million et demi d’habitants travaillent dans ce secteur). Pour le cas de la Tunisie, il faut qu’il y ait un cadre juridique réglementant ce type d’économie. Parmi les plus grands problèmes du secteur, les projets qui s’inscrivent dans le cadre de l’économie sociale et solidaire ne sont pas bancables, a-t-il relevé.