Taoufik Rajhi est ministre conseiller économique auprès du Chef du gouvernement, chargé des réformes, dont il faisait depuis fort longtemps son principal sujet de réflexion. Le président du Conseil des analyses économiques qu’il est, vient de présenter le premier rapport établi par les soins du think tank sur la nécessité, la nature et l’ampleur des réformes à engager, en appui au Plan national de développement. Taoufik Rajhi a accordé une interview exclusive à l’Economiste Maghrébin. En voici des extraits…
L’Economiste Maghrébin : Avez-vous discuté du Programme national des réformes majeures (PNRM ) avec les bailleurs de fonds et en particulier le FMI ?
Taoufik Rajhi : Le PNRM constitue une révolution dans l’approche de la coopération avec les institutions internationales. C’est la première fois dans l’histoire de la Tunisie que la délégation du FMI se déplace en Tunisie pour discuter d’un programme d’appui financier et c’est le gouvernement qui lui remet sa propre matrice des réformes. D’habitude, ce sont les membres de la délégation qui nous soufflent les réformes à faire. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Voilà nos réformes et êtes-vous prêts à nous suivre dans ce sens ?
Vous voulez dire que lors de vos réunions avec le FMI ces jours-ci, le gouvernement a pris le lead ? Ça ne devrait pas plaire au FMI ?
Eh bien, le Chef du gouvernement m’a donné des instructions avant l’arrivée de la délégation du FMI pour extraire la sous-matrice des réformes à soumettre au FMI. Une réunion ministérielle l’a validée et je l’ai remise à titre indicatif à la délégation du FMI, dès les premiers jours. Celle-ci a été surprise par le leadership du gouvernement en matière de réformes et les discussions ont changé de nature. Elles ont porté sur le calendrier et non sur la nature des réformes. Le choix des réformes est un choix souverain. Nous décidons du contenu de notre programme national des réformes et les bailleurs de fonds viennent pour nous appuyer dans ce cadre. D’ailleurs, d’après les échos qui me parviennent de mes anciens collègues à la Banque Africaine de Développement, tout indique que l’ensemble des bailleurs de fonds sont contents, car on leur a facilité la tâche.
Vous êtes la personne qui supervise les réformes majeures. L’impression qui se dégage est que cela n’avance pas beaucoup. Serait-ce dû à l’existence de certaines contraintes ?
En Tunisie, l’agenda politique est prioritaire par rapport à l’agenda économique. Il est temps d’inverser les priorités. La machine réformiste qui a commencé en 2011 s’est arrêtée complètement en 2014 ; elle a repris en 2015. Car le temps politique n’a pas permis au temps économique de s’affirmer. De même, le gouvernement a adopté plusieurs réformes, mais elles sont toujours au Bardo (ARP), comme le Code des investissements, le statut de la BCT, les procédures de faillite… Le PPP, lui-même, n’a été adopté que récemment ; ses décrets d’application ne sont pas encore promulgués. L’économie tunisienne fonctionne encore avec les lois d’avant la révolution et les réformes sont toujours virtuelles tant qu’elles ne sont pas mises en oeuvre après leur adoption par l’ARP. L’adoption des réformes par le gouvernement ne suit pas.
Quelle est la solution ?
Il est temps tout d’abord que les réformes économiques deviennent la priorité de l’ARP. Ensuite, il est nécessaire que les décrets d’application soient présentés en même temps que les lois pour accélérer leur mise en oeuvre. Enfin, il me semble qu’il est nécessaire de favoriser les réformes par décret plutôt que par loi, car c’est plus rapide. L’exemple du décret de passation des marchés publics paru en mars 2014 montre à quel point cela a été efficace.