S’il manquait quelque chose pour que les Tunisiens se convainquent que leur pays s’effondre devant leurs yeux, le syndicat national des forces de sécurité intérieure s’est chargé de le leur fournir.
Le spectacle de centaines de policiers en colère envahissant l’esplanade du Palais du gouvernement, criant, gesticulant et lançant un saugrenu « Dégage » à l’intention du Chef du gouvernement, sonne comme la plus grave humiliation par laquelle l’Etat tunisien a bu, en ce jeudi 25 février, la coupe jusqu’à la lie.
Notre espoir que l’élection d’un président et d’un parlement allait enfin rétablir l’autorité de l’Etat s’est évaporé depuis belle lurette, et celui-ci continue de subir sans broncher les attaques, les offenses et les humiliations de la part d’une multitude de corporatismes férocement revendicateurs. La Tunisie est victime du terrorisme certes, mais ce fléau ne la menace pas dans son existence. Ce qui menace le pays dans son existence même, ce sont tous ces corporatismes qui se soucient comme d’une guigne de la situation économique et financière désastreuse et qui sont prêts à brûler la moitié du pays pour l’obtention d’un avantage, d’un privilège ou d’une augmentation de salaire.
Le comportement irresponsable du syndicat national des forces de sécurité intérieure constitue la quintessence de ce corporatisme destructeur qui pousse le pays chaque jour un peu plus vers le précipice. Rappelons ici qu’en dépit de la situation intenable des finances publiques, le gouvernement a consenti d’importantes augmentations et des avantages substantiels aux forces de sécurité. Deux de leurs syndicats ont été satisfaits et ont signé l’accord, le troisième, qui porte le nom de syndicat national des forces de sécurité intérieure, a refusé. Le motif ? Il exige une augmentation de …700 dinars par mois.
Exploitant la faiblesse de l’Etat, ce syndicat s’est lancé dans une série d’actions qui ont les caractéristiques d’une rébellion. Le refus de sécuriser les frontières, le refus de sécuriser les matches de football et le refus de sécuriser le transport des explosifs à un moment où le pays est menacé par le fléau terroriste, ne sont pas des moyens d’action syndicale pour faire aboutir une revendication, mais des actes de rébellion contre l’autorité de l’Etat que les adhérents de ce syndicat sont censés protéger.
Cet acte de rébellion contre l’autorité de l’Etat accroît dangereusement le sentiment de malaise et d’insécurité prévalant chez une large frange de la population tunisienne qui voit avec consternation l’humiliation que font subir à leur Etat quelques centaines de policiers en furie.
Le message envoyé à l’étranger est tout aussi grave. A un moment où l’on tente désespérément d’attirer les investisseurs et les touristes qui ont déserté le pays, voici que les forces de sécurité avancent vers le palais du gouvernement non pas pour le sécuriser, mais pour l’envahir. Les voici qui avancent vers le Chef du gouvernement non pas pour le protéger, mais pour le conspuer et le « dégager ». Message reçu cinq sur cinq à l’étranger où l’on ne va pas se casser la tête pour faire la part des choses et se dire que quelques centaines de brebis galeuses ne représentent pas les 100.000 policiers qui font consciencieusement leur travail.
Mais revenons à l’Etat que l’écrasante majorité des Tunisiens désire ardemment le voir vigoureux, respectable et respecté, en possession des moyens d’appliquer la loi en répriment les transgressions, les abus et les crimes commis contre le pays, l’économie et la société. Loin d’être exaucé, ce désir demeure un simple vœu pieux, car l’Etat donne de lui-même l’image désolante d’un être frêle et faible entouré de bandits menaçants et vociférateurs qui lui intiment l’ordre de vider ses poches.
Face à la voracité des corporatismes rapaces, l’Etat qui n’a pas pu ou su faire face à ce fléau s’est retrouvé avec des caisses vides, une réputation en lambeaux et une autorité évanescente.
Quand un Etat ne peut même pas empêcher des bandits de construire un mur sur les rails pour bloquer la circulation des trains, quand il s’avère incapable d’assurer la liberté du travail dans des entreprises et des compagnies qui font vivre de milliers de familles et qui se trouvent menacées de faillite ou de fermeture, pourquoi s’étonner quand il n’est même pas respecté par ceux qui sont payés pour le protéger ?!