Avez-vous vu des frères se renier ? Dans la vraie vie, bien sûr que oui. En politique, rarement, sinon jamais, et ce n’est pas de sitôt que l’on verra des frères quitter le giron de la confrérie, uniquement pour les beaux yeux du pouvoir et ses dépendances.
Ces gens-là ont le sens de la famille, et avec la famille, on ne badine pas. Je dis cela, alors que du côté de Montplaisir, fief du mouvement Ennahdha, c’est la mobilisation générale, en prévision de la tenue du dixième congrès, le 10 avril prochain, et dont on dit qu’il sera décisif pour la suite du parcours du mouvement. Branle-bas de combat, chez nos amis du politburo, cheikh Rached Ghannouchi en tête, car il s’agit bien cette fois-ci d’une question existentielle : être ou ne pas être.
Et ce rendez-vous crucial devra certainement apporter une réponse claire et nette, cela même si les plus sceptiques insistent pour dire que ce n’est pas demain que l’ancien Mouvement de la tendance islamique (MTI) va faire sa révolution pour se glisser dans le moule d’un parti civil. Sûrement très difficile de se défaire des préoccupations de l’au-delà, surtout quand tout autour de vous, on appelle à la reconquête d’une identité soi-disant perdue.
Changera, changera pas, that is the question. Pour un mouvement qui s’est trouvé, à un moment, premier d’un concours de circonstances, comme dirait Paul Claudel, il va falloir choisir entre faire de la prédication, ou faire de la politique, mais jamais les deux à la fois. Un véritable dilemme et surtout un casse-tête, quand on sait les préoccupations d’une base frondeuse qui n’est pas prête à renoncer à ses fondamentaux idéologiques.
Qui va gagner la partie ? Difficile de se prononcer, même si l’ambivalence du discours laisse peu de place au doute. Un doute savamment entretenu, comme si ces dames et messieurs d’Ennahdha voulaient nous dire : vous doutez, donc nous sommes. Comme quoi, on peut toujours attendre que le facteur vienne sonner pour nous annoncer que les tenants de l’islam politique ont cette fois-ci vraiment changé.
Pas facile, il est vrai, de se débarrasser de tout un héritage entaché de violence, surtout quand on a prêté allégeance au grand Morchid (le guide suprême), et juré fidélité à une idéologie qui veut contrôler par la persuasion, sinon de force, la vie des gens. Avril prochain sera-t-il le mois de la levée définitive de toutes les ambiguïtés et le mois de toutes les ruptures ?
Actualité libyenne oblige, et justement, à propos de rupture, je suis curieux de savoir comment M. Ghannouchi évalue la situation dans ce pays, lui qui, il n’y a pas si longtemps, tenait des propos très bienveillants sur Fajr Libya dont on connaît les objectifs, et qui participe de ce flou qui laisse planer toutes les suspicions.
D’ailleurs, et pour rester dans le contexte du drame qui va se jouer à quelques encablures, je ne sais pas si le mot célébration est approprié pour parler du cinquième anniversaire de la révolution qui a mis fin au long règne de feu le colonel Mouammar Kadhafi. Qu’en pense notre cheikh ? Et pas besoin d’être sorcier, pour deviner de quel côté son coeur balance.