La Tunisie a été une fois de plus visée par une attaque terroriste, touchant simultanément plusieurs symboles de l’Etat à Ben Guerdane. Un scénario faisant appel à des individus capables de suivre scrupuleusement une stratégie bien établie, et dont le sens de l’organisation prouve qu’ils seraient loin d’agir sous l’impulsion de « l’émotion » ou des égarés ne sachant que faire… sinon la destruction.
Le terroriste est pragmatique et s’est tracé un chemin au-delà des normes sociales. Bien que ces « fous » d’une idéologie extrémiste ne le soient pas médicalement parlant, il existe un lien entre leur extrême violence et certains traits pathologiques. Les terroristes prennent, en effet, selon Kruglanski et Fishman, chercheurs en psychologie sociale, « tous les aspects et modèles, psychologiquement parlant ». Quant aux facteurs pouvant précipiter un individu dans le terrorisme: « L’on sait également que des facteurs situationnels comme la pauvreté, l’oppression politique ou une carence éducative ne sont pas les « racines » du terrorisme, quoique la personnalité et la situation puissent faire basculer dans le terrorisme dans certaines circonstances ».
Malgré cette diversité de profils, les personnes ayant choisi la voie du terrorisme se retrouvent autour d’un caractère commun, à savoir la paranoïa. Leur idéologie repose en effet principalement sur un discours ayant une tonalité paranoïaque du : « Nous contre eux ». Un trait que partagent des terroristes de différentes confessions.
Pour l’anthropologue D. Bouzar: « Les activistes juifs et chrétiens, même s’ils apparaissent actuellement beaucoup moins nombreux que les musulmans, ont les mêmes modes opératoires : c’est le sentiment de persécution qui justifie à leurs yeux leur passage à l’acte, qu’ils ne qualifient jamais d’acte terroriste, mais de « résistance » , « d’opération justice », de « manœuvre défensive », de « stratégie rendant nécessaire l’usage de la force » [. . .] Ils sont dans une lecture paranoïaque de la réalité ».
Lors des attaques de Ben Guerdane, les habitants de la ville affirment que les terroristes leur demandaient de ne pas paniquer, comme pour leur dire qu’ils sont là, pour les protéger d’une menace imminente… mais laquelle?
L’un des « points forts » de l’Etat Islamique est le fait d’avoir su attirer, avec beaucoup d’habileté, un large public par un discours basé principalement sur le sentiment de persécution, présentant cette organisation comme un rempart contre le danger imminent de l’impérialisme. L’organisation a su profiter des conséquences de la présence militaire américaine en Irak, ainsi que tous les remodelages géopolitiques qui s’en sont suivis, pour instaurer auprès de la communauté sunnite et pas seulement celle de la région, un sentiment d’injustice et de menace permanente.
Pourtant l’Etat Islamique ne joue pas seulement sur la corde sensible du sentiment de persécution. Cette organisation terroriste fait également appel à l’imaginaire (débordant) de ses sympathisants, les enrôlant dans une guerre pas comme les autres. Celle de l’Etat Islamique est la dernière, de la guerre Sainte, de la fin des temps contre l’Antéchrist, symbolisé par… tous ceux qui seraient en désaccord avec eux. Le scénario simple et présenté sous une vision dichotomique du monde est facile à assimiler.
Par ailleurs l’organisation joue sur certaines coïncidences : les lieux (Syrie, Irak, Jérusalem), les circonstances politiques (guerres civiles, colonisation) pour mettre en place un scénario bien ficelé (qui n’a rien à envier à ceux de Hollywood) proche de certaines prophéties qui décrivent l’approche de la dernière Heure : celui du petit groupe de « bons musulmans » parmi les « mauvais » qui se bat contre les infidèles.
Le troisième numéro de Dabiq (magazine de propagande djihadiste de l’Etat Islamique) intitulé « Un appel à l’Hijra », fait ainsi le parallèle avec la migration du Prophète Mohamed accompagné des premiers fidèles vers Médine. Ainsi l’heure est venue (selon eux), d’où l’empressement de certains à s’installer en terre d’Islam et mener la guerre sainte, pour se garantir une place, parmi les dernières encore disponibles (!), au paradis.
L’une des solutions pour raisonner les futures recrues de cette organisation serait-elle de leur rappeler que seul le Divin est en mesure de savoir quand l’Heure va sonner?