Historiquement, les peuples du monde méditerranéen ont expérimenté divers types d’organisations sociales et politiques. Cette donne a façonné la géopolitique de la région*. Si l’État offre aujourd’hui un cadre organisationnel commun à ces sociétés, la question du pouvoir politique n’est pas traitée de manière unique ni même homogène.
Le principe démocratique est né dans la Grèce antique, mais ne s’est pas diffusé à l’ensemble du bassin méditerranéen. Aujourd’hui encore, il n’existe pas de modèle de gouvernement (monarchies parlementaires, républiques libérales, monarchies absolues ou conservatrices…), de régime politique (parlementaire, présidentiel, mixte) ni de forme d’État (unitaire, fédéral ou régional) qui soient propres au monde méditerranéen. L’exercice du pouvoir en Méditerranée reflète le vaste champ des possibles offerts par les sciences politique et constitutionnelle. La nature d’un régime dépend d’une série de facteurs juridiques et politiques (respect de la séparation des pouvoirs, des droits politiques et libertés individuelles des citoyens), mais aussi historiques, idéologiques, culturels. Sans prétendre établir de typologie, il est possible de distinguer des situations politiques qui recoupent plus ou moins les aires géopolitiques de la Méditerranée.
Si, dans l’histoire moderne, les pays européens de la rive nord ont connu jadis un régime autoritaire et oppresseur, ils se caractérisent dorénavant par leur attachement au modèle démocratique et à l’État de droit. Outre les fondements constitutionnels internes, l’appartenance à des organisations européennes- le Conseil de l’Europe et l’Union européenne- ont directement contribué à définir et à garantir le modèle européen de démocratie libérale. Il est vrai que la genèse de la construction européenne réside dans la volonté de rompre avec les idéologies antidémocratiques- fascisme, nazisme et communisme- à l’origine de régimes autoritaires (Portugal, Espagne, ex-Yougoslavie) ou totalitaires (Italie, Albanie) sur la rive nord de la Méditerranée. Ce « pôle démocratisé » n’en est pas moins confronté à une crise démocratique. Il n’empêche, l’application de ce modèle politique libéral nourrit un sentiment de supériorité morale de la rive nord-européenne sur le reste du pourtour méditerranéen. Un phénomène similaire est palpable dans le discours officiel israélien, reposant notamment sur le slogan suivant lequel il s’agirait de la « seule démocratie de la région » du Moyen-Orient.
Pourtant, la frontière entre la « démocratie » et d’autres systèmes politiques n’est pas si rigide. En cela, le modèle démocratique connaît des degrés différents. L’hypothèse se vérifie de manière plus remarquable avec les régimes « semi-démocratiques » caractérisant la situation (non identique) de la Turquie, d’Israël et du Liban. En effet, si les régimes politiques turc, israélien et libanais répondent à nombre d’indices ou de critères constitutifs du modèle démocratique, certaines de leurs caractéristiques (autoritaire, ethnico-religieuse ou multiconfessionnelle) en font des catégories hybrides.
Dans les Balkans, les pays issus de l’ex-Yougoslavie (Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Serbie-Monténégro), du bloc communiste (Albanie) se sont engagés à partir des années 1990 dans un processus démocratique qui a ouvert la voie à l’adhésion au Conseil de l’Europe, voire à l’Union européenne. Cette démocratisation demeure néanmoins affectée par le caractère encore prégnant du nationalisme et de la corruption qui freinent l’avancée vers l’Etat de droit.
Enfin, sur la rive Sud et Est, les régimes qui ont émergé avec le mouvement de décolonisation et/ou de libération nationale ont incarné l’un des visages de ce qu’on appelait le « tiers monde ». L’importation du modèle stato-national n’intégrait pas le principe démocratique. A l’inverse, certaines structures traditionnelles infra et/ou transnationales (tribus, clans familiaux, etc.) continuent de perdurer. Surtout, des régimes sinon autoritaires, du moins arbitraires, demeurent en place (Maroc, Algérie, Égypte, Jordanie), tandis que la Libye et la Syrie sont en situation d’Etat failli : nul pouvoir n’exerce la souveraineté et l’autorité sur l’ensemble de la population et du territoire national. Le soulèvement des peuples arabes en 2011 ne saurait se résumer à ces échecs et impasses : le « printemps arabe » a également débouché sur une authentique expérience de transition démocratique en Tunisie. Malgré les défis sécuritaires, économiques et sociaux auxquels le pays demeure confronté, son peuple a ouvert un nouvel horizon des possibles pour les peuples de la région.
* Béligh Nabli, Géopolitique de la Méditerranée, Paris, Armand Colin, 2015.