La nomination de l’ancienne secrétaire d’État auprès du ministre des Finances, Boutheina Ben Yaghlane Ben Slimane à la tête de la Caisse des dépôts et consignations ( CDC ) de Tunisie a suscité quelques réactions isolées sans grand effet.
Pourtant, il s’agit bien d’une nomination partisane à un poste technique sensible comme levier de mobilisation des deniers de l’État. Cette incrustation d’un membre de la hiérarchie d’Ennahdha marque un tournant incontestable dans la marche implacable des islamistes vers une mainmise pleine et totale sur les rouages de l’Etat et de l’administration tunisienne, avant la razzia ultime sur le pays entier.
Comment expliquer ce silence assourdissant de la société civile tunisienne à l’heure actuelle, alors qu’elle avait suscitée l’admiration et l’enthousiasme de tous par sa vigueur pendant les années 2012-2013? Léthargie pernicieuse ou abdication délétère? Comment admettre l’attitude des formations dites de l’opposition qui appliquent une véritable politique de l’autruche, se dispensant de jouer leur rôle? Et comment accepter qu’un exécutif à deux têtes laisse faire sans se sentir gêné outre mesure par cet accommodement qui frise la compromission?
Décidément, c’est un boulevard qui s’ouvre devant les partisans d’Ennahdha et leurs affidés. Sous un calme apparent de surface, un maintien doucereux et bien policé des différents acteurs, le marigot s’agite en profondeur et les islamistes sont à la manœuvre.
Dans son livre « Le système totalitaire », Hannah Arendt précise : « La domination totale est la seule forme de régime avec laquelle la coexistence ne soit plus possible. » Ne dit-on pas que ceux qui ignorent les leçons de l’Histoire sont condamnés à la revivre. En 1933, les nazis concédèrent de former un gouvernement dans lequel ils étaient minoritaires face à des conservateurs qui croyaient les utiliser pour liquider la République de Weimar au profit d’un régime autoritaire traditionnel. Mais le piège se referma assez vite et le totalitarisme national-socialiste étendit son pouvoir sur l’Allemagne.
L’entrisme pratiqué sans discontinuer par Ennahdha est une tactique qui consiste à infiltrer, à noyauter les rouages de l’Etat, les entreprises publiques, les organisations nationales… afin de les neutraliser dans un premier temps pour en prendre la direction ultérieurement. Cette technique est soutenue par une fonction de diversion, en pratiquant avec un art consommé le « procédé de l’enfumage » pour détourner l’attention sur les grignotages opérés.
La Caisse des dépôts et consignations a été créée en 2011 par le décret-loi N° 85-2011 du 13 septembre 2011. Outre le fait d’avoir servi aussitôt de nid douillet pour quelques lobbyistes, son premier responsable annonçait la couleur dès le 29 juin 2012 avec le premier Fonds commun de placement à risque, conforme à la loi islamique, la « Chariâa » ! Ce fonds, d’un capital de 50 millions de dinars, a été baptisé « Theemar » (fruits) et s’était fixé pour objectif de financer des PME tunisiennes. Les principaux actionnaires sont la CDC, la Banque islamique de développement (BID), le groupe Koweïtien (KIPCO) et la banque « El Baraka.
Une annonce qui est passée inaperçue, sans doute grâce au fameux procédé de l’enfumage, puisqu’à la même période les hordes criminelles en service étaient à pied d’œuvre dans leurs agressions, destructions de mausolées, saccages etc…
Il convient de souligner que cette récente nomination partisane d’Ennahdha, qui ne sera pas la dernière hélas, s’ajoute à bien d’autres. A commencer par la feuille de route du dialogue national, sitôt oubliée et enterrée, qui enjoignait au futur chef du gouvernement, entre autres exigences, de réviser les centaines de nominations effectuées sur une base purement partisane et d’assainir l’administration des individus parachutés. En vain! Pour résumer, les procédés subtils employés par Ennahda pour arriver à ses fins se déploient dans trois directions:
- Un entrisme attentiste qui consiste à exploiter les opportunités qui se présentent pour investir l’administration et les organismes publics en plaçant ses partisans dans de hauts postes. Sans parler des ministres qui sont issus d’Ennahdha ou très proches, ainsi que du conseiller auprès du chef du gouvernement chargé de la Veille et de la Prospective;
- Des campagnes de dénigrement et de harcèlement pour provoquer le départ de ceux qui se trouvent dans le collimateur des islamistes, ceux qui gênent leurs desseins dans tous les domaines. Plusieurs exemples peuvent être cités (l’ancien ministre des Affaires religieuses Othman Battikh, l’ancien ministre des Affaires étrangères Taïeb Baccouche, l’actuelle ministre de la Femme, de la Famille et de l’Enfance Samira Merai Friâa…);
- L’enrôlement de certains personnages qui acceptent de faire allégeance et de les servir par opportunisme ou vénalité. On les retrouve dans l’administration ou dans des organismes publics (statistiques, informatique…). Une alliance de circonstances où ces pions font un bout de chemin avec les islamistes, sans aucun état d’âme.
La nomination à la tête de la CDC n’est que le révélateur tardif d’un processus pesant qui se déroule activement sous nos yeux depuis les gouvernements de la Troïka. L’arbre de la nomination ne doit pas cacher la forêt. La forêt, ici, ce sont les milliers de nominations commises par Ennahdha furtivement à tous les échelons de l’administration et des organismes publics. Il ne faut pas qu’un fragment de la machine islamiste occulte l’ensemble de leur projet totalitaire, de telle manière qu’il devient difficile d’en estimer la gravité et d’entrevoir une solution. L’étonnement et l’indignation ne suffisent plus.