Le projet de loi relatif à l’augmentation de l’âge de départ à la retraite a déclenché, ces derniers jours, une polémique.
Malgré un accord signé, depuis fin 2015, entre l’UGTT et le gouvernement, portant sur cette augmentation de l’âge de manière facultative, soit 62 ans ou 65 ans au choix, le consensus ne s’est pas encore fait autour du projet de loi. A cet égard, Khaled Sdiri, expert en sécurité sociale, nous a dressé un état des lieux des caisses de sécurité sociales et quelques recommandations.
En Tunisie, la sécurité sociale est basée sur un régime de retraite par répartition à prestations définies en annuités. Ce régime est caractérisé par la solidarité, d’une part, et par le calcul de la pension qui ne dépend pas de la cotisation, d’autre part. Néanmoins, avec ce régime et la création de trois caisses, à savoir la Caisse Nationale de Retraite et de Prévoyance Sociale ( CNRPS ), la Caisse Nationale de Sécurité Sociale ( CNSS ) et la Caisse Nationale d’Assurance Maladie ( CNAM ), l’équilibre financier reste difficilement maîtrisable face aux facteurs démographiques, économiques et financiers.
Ainsi, l’application de la convention internationale 102, visant l’équilibre des régimes de sécurité sociale et prévoyant des régimes axés sur le renforcement du dialogue social entre employeur, employé et gouvernement, n’a pas abouti à l’équilibre financier.
Etat des lieux
A partir des années 90, M. Sdiri a affirmé que la question qui se pose est celle de la pérennité de ce régime, parce qu’il y a beaucoup de facteurs qui agissent négativement sur cet équilibre. A l’issue du premier déficit enregistré au niveau de la CNRPS, en 1993, l’Etat a essayé d’engager quelques réformes. Ces réformes ont été focalisées seulement sur l’augmentation de la cotisation. Une mesure qui n’a pas permis, selon ses dires, de rétablir l’équilibre du régime de retraite. D’ailleurs, en 1994, le taux de cotisation, dans le secteur public, a enregistré une hausse de 2,2%, contre 2,5% en 2005 et 3% en 2007. Et depuis cette date, le déficit des régimes spéciaux a été comblé par le budget de l’Etat et les caisses sociales n’ont pas pu maîtriser ce déficit.
Ainsi, au niveau de la CNRPS, le déficit du régime de retraite a été de l’ordre de 252,2 millions de dinars (MDT) en 2013 et de 338 MDT en 2014. Celui du régime de capital de décès a été, au cours de 2013 et 2014 excédentaire affichant respectivement 53, 5 MDT et 52,7 MDT. De ce fait, le déficit global de la CNRPS est passé de 198,7MDT en 2013 à 285 MDT en 2014.
Par conséquent, un épuisement des réserves au niveau de la CNRPS s’est affiché. S’ajoute à cela, des dettes, auprès de la CNAM, estimées à 1100 MDT.
Concernant la CNSS, le déficit du régime de retraite a été de 389,8 MDT en 2013 et de 555,8 MDT en 2014. Celui du régime de prestations familiales a été excédentaire enregistrant 244,8 MDT en 2013 et 259,8 MDT en 2014. Idem pour le régime d’assurance sociale qui a atteint un excédent pour se situer à 27,3 MDT en 2013 et 23,5 MDT en 2014. Le régime global de la CNSS a été, quant à lui, déficitaire de 89 MDT en 2013 et de 122 MDT en 2014.
Eu égard à ces indicateurs négatifs, Khaled Sdiri a constaté que malgré les mesures prises pour rétablir l’équilibre, le problème n’a pas été résolu. Cette situation est devenue, de plus en plus, inquiétante. D’où la nécessité pour le gouvernement actuel d’opter pour des réformes qui ne se focalisent pas uniquement sur l’augmentation du taux de cotisation. Sachant que ce taux a un impact négatif sur le pouvoir d’achat des bénéficiaires, ainsi que sur la compétitivité des entreprises exportatrices.
D’autres mesures s’imposent
Dans ce sens, M. Sdiri a affirmé qu’il est temps de réfléchir à d’autres moyens et facteurs pour rétablir l’équilibre en premier lieu et pérenniser le système de sécurité par la suite.
Parmi ces facteurs, s’affiche l’augmentation de l’âge de départ à la retraite facultative. Une mesure prise par l’Etat concernant uniquement le secteur public, et ce, à l’issue d’un accord signé, à fin 2015, entre l’UGTT et le gouvernement, pour un consensus autour du projet de loi qui accorde le choix à l’assuré social de prolonger sa vie professionnelle d’une période de deux ou cinq ans ou pas. Cette mesure ayant pour objectif d’assurer la pérennité du régime de la sécurité sociale et de garantir les droits acquis pour les prochaines générations.
Mais une question se pose: est-ce qu’une telle mesure est capable de résoudre le problème de la CNRPS? En réponse, M. Sdiri a indiqué que l’augmentation de l’âge de départ à la retraite peut être un avantage parce qu’elle va améliorer le rapport démographique (rapport entre les cotisants et les bénéficiaires). Et plus ce rapport augmente, plus son impact sera positif sur l’équilibre.
Néanmoins, sur le plan financier, cette mesure ne va résoudre le problème du déséquilibre des caisses qu’à court terme.
A noter qu’au niveau de la CNRPS, le rapport démographique a baissé entre 2013 et 2014, affichant respectivement 3,7 et 3,5. Idem pour la CNSS, le rapport a été de 2,81 en 2013 et 2,73 en 2014.
Face à cette situation, d’autres facteurs s’imposent. Pour sortir du tunnel, l’expert a préconisé de donner, à court et moyen termes, la priorité à la CNRPS, où l’Etat est obligé d’intervenir pour combler le déficit. A long terme, des réformes paramétriques et structurelles ou systémiques sont nécessaires. C’est-à-dire, il faut modifier les paramètres de la législation en vigueur et changer le système de financement: opter par exemple pour une combinaison entre les techniques de financement, de capitalisation et de répartition.
Mais est-ce qu’on est capable d’instaurer un tel régime au moment où le marché financier n’est pas développé et n’encourage même pas d’opter pour un régime de capitalisation?
Pour faire face, toutes les parties prenantes doivent déployer des efforts afin d’assurer la pérennité de ce régime, tout en bataillant pour sauvegarder le régime de retraite par répartition à prestations définies en annuité. Et les autres régimes doivent être complémentaires.
Elles doivent, également, trouver des solutions adéquates pour une couverture sociale des catégories qui ne sont pas actuellement incluses, telles que les chômeurs, les travailleurs du secteur informel qui constituent un manque à gagner pour la sécurité sociale, ainsi que les familles nécessiteuses.
Il faut, de même, opter, pour un socle de protection sociale, selon la convention internationale 202, qui assure une couverture maladie et un revenu assurant une vie digne aux couches vulnérables, via l’accès aux soins de santé essentiels, la sécurité des moyens de base pour les enfants, la sécurité des moyens d’existence de base pour les personnes actives ayant un revenu faible et la sécurité des moyens d’existence de base pour les personnes âgées.
Parallèlement à ces réformes, la réforme fiscale est importante, pour que les recettes additionnelles de la fiscalité s’affectent au financement des caisses de sécurité sociale.