La Constitution tunisienne est le fruit du consensus des forces politiques. Mais l’idée d’un éventuel amendement du régime politique pourrait-elle être envisagée?
C’est en partie les débats et les discussions qui se tiennent depuis quelque temps dans les coulisses. Mais voilà, la question a été posée au Président de la République qui a déclaré ne pas être contre, dans la mesure où le régime actuel constitue un blocage pour l’économie du pays.
Sommes-nous face à des signaux annonciateurs de la révision du régime politique, qui pour rappel a été, pendant un certain temps, un sujet tabou si l’on se réfère au régime “présidentialiste” sous Ben Ali. Cependant, aborder cette question aujourd’hui nécessite beaucoup de réflexion.
Leila Chettaoui, députée de Nidaa Tounes, déclare à ce propos: « Je me dis qu’avec tout ce que nous avons vécu, réellement, il y a un problème au niveau du régime politique, pour la simple et bonne raison que nous sommes bloqués sur le plan économique. Il faut retrouver cette impulsion pour être à même de prendre les grandes décisions concernant l’économie du pays. Certes, nous avons opté pour la politique des petits pas, mais on aurait dû faire beaucoup plus. Finalement, le Parlement constitue quelque part un goulot d’étranglement par rapport au gouvernement, alors que celui-ci veut avancer plus vite, et que malheureusement notre cadence au sein de l’ARP demeure lente. »
Elle poursuit: « Prenons le cas de ce qui s’est passé pour le projet de loi relatif au CSM ( Conseil supérieur de la magistrature ), qui a pris énormément de temps. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est d’un gouvernement « de guerre » qui agisse rapidement et qui assume ses responsabilités. La Tunisie a vraiment besoin de compétences réelles, managériales et de leadership. »
Interrogée sur les positions des autres partis au pouvoir, elle a répondu: « Nous sommes arrivés à cette prise de conscience, et plus que ça, à une réflexion sur comment arriver à dépasser ce blocage pour pouvoir gagner énormément de terrain en termes de temps? Il faut avant tout penser à la patrie avant les partis. Et nous ne devons pas être au-devant de la scène, c’est la Tunisie qui doit y figurer. Nous avons l’obligation de mieux servir notre pays et ne pas être égoïstes, nous avons besoin réellement d’un gouvernement qui fonctionne et d’un pouvoir parlementaire de contrôle qui permette de contrôler le gouvernement sans l’entraver. C’est un travail complémentaire qui doit se faire. »
Qu’en est-il de la Constitution?
Jawhar Ben Mbarek, le coordinateur général du réseau Doustourna, déclare: « Qui dit régime politique, dit Constitution, changer le régime politique, c’est changer aussi la Constitution. Or toute modification de la Constitution pour l’instant est impensable, parce qu’il y a un avis obligatoire de faisabilité qui doit venir de la Cour Constitutionnelle, qui n’existe pas encore. Et dans ce cas, aucune révision n’est possible avant la mise en place de la Cour constitutionnelle. »
Il poursuit: « L’autre remarque, c’est qu’un régime politique ne peut être objectivement évalué après quelques mois de la mise en place d’un gouvernement. Les nations qui se respectent ont besoin d’expérimentation pour pouvoir évaluer les faiblesses d’un régime politique. On ne peut pas objectivement évaluer les faiblesses de notre système constitutionnel et proposer une alternative. C’est vrai que tout système politique n’est pas parfait, idem pour notre système politique. »
Il ajoute: « J’ai bien peur que cette révision du régime politique cache, en fait, une fuite des responsabilités de la part de la classe politique. De plus, qui peut garantir qu’une modification du système politique vers un régime présidentiel, par exemple, améliorera le fonctionnement actuel des institutions, tant que le comportement de la classe politique reste le même? A titre d’exemple, le Président de la République est en train de chercher plus d’attributions et plus de compétences. D’abord il faut qu’il commence par utiliser d’une manière optimale les pouvoirs dont il dispose. Déjà en termes de compétences, par exemple, il a d’abord l’initiative législative qui lui permet d’ initier des lois dans tous les domaines y compris dans les domaines économique et social. Il a un deuxième instrument qui est le droit de veto qu’il n’a jamais utilisé. »
Le droit de veto
L’article 81 de la Constitution attribue, en effet, au Président de la République la prérogative d’opposer son veto contre la promulgation d’une loi, par exemple, qu’il estime non-conforme à la Constitution ou qui porte préjudice aux intérêts du pays. C’est un instrument majeur qui fait partie de ce qu’on appelle le pouvoir exécutif négatif du Président de la République. En somme, il ne peut pas prendre de décision à la place du pouvoir législatif, mais il peut leur imposer de revoir leur copie.
Il conclut: « Le Président de la République ne doit pas tomber dans ce piège, car c’est un projet voué à l’échec. Cela risque plutôt d’affaiblir la Présidence de la République et d’accentuer les conflits sous-jacents entre le Président de la République et le Chef du gouvernement, lequel sera contraint de rechercher le soutien auprès d’autres forces politiques, et en être leur otage. »