Que reste-t-il du dialogue national sur l’emploi, qui aura mobilisé tout le gotha du monde politique sous l’égide du gouvernement ? Rien ou pas grand-chose, si ce n’est un catalogue de bonnes intentions comme on en a tant connu par le passé.
Qu’a-t-on dit ou révélé que nous ne sachions déjà ? A quoi aura servi cette messe dédiée à la résorption du chômage, quand les mécanismes de création d’emplois restent grippés, en raison de la passivité des autorités publiques qui ne peuvent rien contre les casseurs et les fossoyeurs de l’emploi ?
Les entreprises prises pour cibles ne se consolent pas de leur impuissance à libérer le travail des griffes de « sitineurs» qui les prennent en otage.
Les protestataires de tout poil n’arrêtent pas de défier, en toute impunité, l’autorité de l’Etat ou ce qu’il en reste; ils bloquent les accès au travail, entravent la circulation des biens et des personnes et frappent là où cela fait le plus mal, au coeur même de notre système productif.
Le dialogue national pour l’emploi doit se garder de tomber dans les travers des tribunes incantatoires, marquées par des effets d’annonce sans lendemain. Il doit se mettre à l’écoute des entreprises qui se débattent depuis plus de 5 ans contre des vents contraires. Comment les motiver et les remobiliser alors qu’elles sont encore sous cette avalanche de chocs, tout aussi fort contraignants les uns que les autres : récession mondiale, instabilité des lois, dérives syndicales, bureaucratie rédhibitoire, climat dégradé des affaires en l’absence d’une véritable réconciliation nationale. Il n’a échappé à personne la gravité des propos du Président de la République, qui sonnent comme un avertissement quand il « déplora », le 20 mars, date anniversaire de l’indépendance, le déficit de l’Etat ni quand il déclara que l’environnement économique n’est pas favorable à la reprise de l’investissement local et étranger.
Le discours du Président Caïd Essebsi, véritable orfèvre dans le choix des mots, ne souffre d’aucune ambiguïté ; il vaut à lui tout seul tout un programme. Il laisse espérer, en tout cas, le retour du pendule à son point d’équilibre.
Que peut-on espérer d’un dialogue national sur l’emploi quand le réacteur de l’économie nationale, en l’occurrence le Groupe chimique, véritable pourvoyeur d’emplois, de devises et d’espoirs, agonise sous le feu roulant d’une poignée d’individus qui pratiquent la politique de la terre brûlée ?
L’économie tunisienne- et pas seulement celle de la région – se vide depuis plus de 5 ans de sa substance et se meurt, sans que les pouvoirs locaux ou centraux daignent intervenir pour mettre fin à de telles agressions qui mettent en péril la sécurité nationale.
La même démarche suicidaire, les mêmes crimes économiques – quoique à une échelle réduite – paralysent depuis plus de 2 mois l’unique unité pétrolière en activité dans les îles Kerkennah, qui ont tant profité de cette manne inespérée et inattendue.
Les Britanniques, associés de l’Etap, une compagnie nationale s’il en est, ont perdu leur flegme, leur sang-froid et bientôt ils perdront leur patience. Ils ne pouvaient imaginer pareille situation ubuesque, kafkaïenne et unique dans les annales des luttes ouvrières, quand celles-ci ont encore un sens et des justifications.
Une bande d’individus, étrangers de surcroît à la société, en flagrant délit d’agressions, défient l’Etat et provoquent l’arrêt de la production d’une société, dont le seul tort est de leur donner une perspective via une aide conséquente allouée aux autorités locales. Ils n’ont pas trouvé mieux, pour se faire titulariser, ceux en tout cas d’entre eux dont les emplois ne sont pas fictifs, que de condamner au silence leur bienfaiteur. Sans que les autorités n’interviennent pour faire lever un siège, véritable déni de justice et de légalité.
Les autorités, si promptes à se lancer dans des schémas de croissance et de développement, si soucieuses et désireuses de créer des emplois dans les zones sinistrées, feraient mieux de sauvegarder les emplois aujourd’hui en déperdition. Ne pas en perdre, c’est déjà, dans le contexte actuel, en créer. Si elles échouent, à ce stade de décomposition des emplois, on voit mal comment elles pourraient réussir là où c’est encore plus difficile quand il s’agit de redresser la courbe du chômage. Mines, énergie, transport,… l’essentiel des secteurs névralgiques et éminemment stratégiques, le coeur battant pour ainsi dire de l’économie, sont pris pour cibles sans que cela ne déroge à la passivité des autorités, victimes du syndrome du droit de l’hommisme. La centrale ouvrière, quand elle n’est pas à la manœuvre, en première ligne, feint d’être dépassée sans que cela suscite en elle désapprobation, désolidarisation et condamnation. Le patronat, l’autre pilier du dialogue social moribond, ne quitte plus le mur des lamentations. Il ne trouve rien de mieux que d’exiger l’état d’urgence économique. Comme si on ne pouvait appliquer la loi autrement. Mais alors que signifie l’Etat de droit ?
Jour à près jour, l’autorité de l’Etat est bafouée, ignorée. Résultat des courses : les entreprises sont livrées à ellesmêmes, à la furie des protestataires, sans protection aucune contre des agressions externes qui prennent en otage leurs propres salariés et les condamnent au chômage technique d’abord, structurel ensuite. Elles crient aujourd’hui leur désarroi et leur désespoir. Leur confiance est sérieusement ébranlée.
Elles perdent pied sur le marché local, et plus encore à l’international. Il y a tout à craindre pour notre économie et notre modèle social, de cette lassitude, de cette fatigue, de cette démission visible chez un grand nombre de nos entreprises. La croissance et donc l’investissement et l’emploi carburent au moral et à la confiance. Quand ceux-ci font défaut, il y a peu de chances de voir se redresser notre économie et nos finances publiques.
En l’absence d’une véritable paix sociale et de la nécessaire autorité d’un Etat véritablement stratège, on multiplierait à l’infini les sommets et les conférences nationales sur l’emploi sans que cela ne soit d’une quelconque utilité. On devrait plutôt se poser la question de savoir pourquoi la plaie du chômage ne fait que s’aggraver.
Inutile de chercher ailleurs, que chez l’Etat lui-même, les raisons d’un tel déclin