La Tunisie est-elle un mauvais élève dans la lutte contre la corruption ? Est-ce un manque de volonté politique pour combattre ce fléau qui ne cesse de s’étendre. Quel est le rôle de la justice dans cette démarche ? C’est en partie le thème du débat lors de la conférence organisée par I watch, ce jeudi 14 avril, à Tunis.
Après de longues discussions et des débats concernant le projet de loi sur la réconciliation nationale, voilà qu’un autre projet de loi relatif à la confiscation civile (*) est au cœur du débat. Pourquoi en parler maintenant? Quel en est l’objectif?
Pour Leila Abid, juge et substitut du président du Tribunal de première instance de Tunis, pour mieux lutter contre la corruption, cela ne peut se faire que sur le plan légal et juridique.
“Le ministère des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières a l’intention de faire passer un projet de loi relatif à la confiscation civile qui de par sa nature est un projet qui amnistie les hommes d’affaires et les politiciens, sans passer par le droit pénal”, souligne-t-elle.
Elle poursuit : “Mais encore, le plus inquiétant, c’est qu’ils veulent instaurer un Etat mafieux. Il est clair que leurs intentions ne sont pas de lutter contre la corruption, comme ils le prétendent, mais de faire une mainmise sur les dossiers de corruption que le tribunal détient, et ceci dans un seul but, ouvrir les portes à la corruption et traiter les dossiers avec des « donnant-donnant », sans aucune transparence, voilà ce qui passera si ce projet de loi voit le jour, et on est loin du processus de transition démocratique”.
Elle continue: “Parce que ces personnes seront au-dessus de la loi, et elles ne pourront plus être poursuivies devant la justice. A mon avis, lutter contre la corruption, c’est avant tout construire un Etat de droit.”
La corruption a pris de l’ampleur en Tunisie, sous Ben Ali, mais elle a continué à s’étendre après le 14 janvier, voire elle s’est multipliée, selon le rapport de Transparency International.
Qu’en est-il de la Cour des comptes pour lutter contre la corruption?
A ce sujet, Nejib Ktari, président de chambre à la Cour des comptes, a déclaré lors de son intervention, que le mauvais classement de la Tunisie est un défi important pour combattre la corruption. Mais qu’il faudrait prévoir d’autres ressources aussi bien en moyens humains que matériels.
M. Ktari a souligné : “Comment convaincre les pouvoirs exécutif et législatif de donner son indépendance à la Cour des comptes? Nous voulons qu’il y ait une autonomie financière. Notre budget ne dépasse pas un million de dinars par an. La publication de nos rapports se fait sur le site de la Cour. Sur 29 rapports, dix ont été publiés dont quatre rapports spécifiques sur le contrôle des financements de campagnes électorales.”
Najet Bacha, conseillère rapporteur au sein de l’Instance nationale de lutte contre la corruption, déclare que les défis sont de taille. Elle indique : “Nous sommes en train d’avancer pas à pas, mais c’est loin d’être fini. Nous avons des chances de combattre la corruption dans un laps de temps réduit, s’il y a une forte mobilisation de la société civile, des experts, du gouvernement, mais encore, il faut qu’il y ait une volonté nationale avant tout. Tout est possible, si on met la main dans la main.”
La corruption est un fléau mondial, elle touche tous les pays du monde et tous les secteurs d’activités. En Tunisie, elle ne fait que s’étendre de plus en plus, comme le constatent les intervenants d’aujourd’hui. Mais pour bien mener ce combat, il faudrait fixer une stratégie claire qui vise le court, le moyen et le long terme.
(*) Selon Kamel Ayadi, ministre de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption, la confiscation civile est un nouvel instrument qui s’ajoute aux lois que l’Etat veut mettre en place dans sa lutte contre la corruption. Il s’agit d’un plan d’action en cours d’élaboration par son département dans le but de consolider les attributs de la gouvernance et de la lutte contre la corruption dans tous les domaines y compris dans les structures publiques.