Depuis sa création en 1946 et jusqu’en 2011, l’Union générale tunisienne du travail ( UGTT ) était l’unique syndicat autorisé par l’Etat. Mais après le 14 janvier 2011, la donne a changé, d’autres mouvements syndicaux ont vu le jour. Le pluralisme syndical est-il en vigueur en Tunisie?
C’est ainsi qu’en 2011, un deuxième syndicat est créé, il s’agit de la Confédération générale tunisienne du Travail ( CGTT). Son fondateur et secrétaire général, Habib Guiza, fait appel au pluralisme syndical, dans la mesure où ce pluralisme est stipulé dans la nouvelle Constitution qui dans son article 35 annonce clairement: “Est garantie, la liberté de constituer des partis politiques, des syndicats et des associations. Les partis politiques, les syndicats et les associations s’engagent dans leurs statuts et leurs activités au respect des dispositions de la Constitution, de la loi et de la transparence financière et au rejet de la violence.”
Par ailleurs, M.Guiza dénonce la marginalisation de la CGTT, car selon lui, il faut qu’il y ait une liberté syndicale, et que le gouvernement soit dans l’obligation d’appliquer la loi, « ce qui n’est pas encore le cas », souligne-t-il.
Or la question que l’on se pose est : le pluralisme syndical est-il une obligation ou un choix facultatif?
En Tunisie, il n’y a pas de modèle syndical établi et l’UGTT est en quasi-monopole : elle est l’une des composantes sociales et joue un rôle de « co-gestion de l’Etat » à travers les négociations, non pas dans le cadre d’un modèle qui relève de la lutte des classes, mais à travers un rapport de force pour le partage de la plus value.
Pour M. Guiza : “Aussi bien l’UGTT que la CGTT sont des composantes sociales, nous sommes sur un pied d’égalité, car nous avons gagné en ce sens; et ceci d’après le jugement prononcé le 26 juin 2015 par le Tribunal administratif dont la décision est la suivante : la CGTT a le droit à la négociation, à la retenue sur salaire, ainsi qu’aux autres privilèges que lui procure la loi, selon la constitution tunisienne. Cela veut dire aussi que c’est au gouvernement d’appliquer la loi, ce qui n’est toujours pas le cas malheureusement. Cela dit, je me pose la question suivante: quelles sont les raisons pour lesquelles le gouvernement n’a pas pu agir? J’ignore encore la réponse exacte. Serait-ce parce que nous nous trouvons face à un gouvernement fragile? Probablement. Simplement, je rappelle que le pluralisme syndical existe bel et bien, ce n’est pas nous qui le disons, c’est un jugement du tribunal qui en a décidé ainsi.”
Comment sont financés les syndicats?
A cette question, Anouar Ben Gadour, secrétaire général adjoint chargé des études et de la documentation à l’UGTT déclare : “Ceci concerne les adhérents car ce sont eux qui financent le syndicat. Pour l’Ugtt, le nombre des adhérents varie entre 550. 000 et 600.000 (secteur public et privé). On parle de la retenue sur salaire concernant le secteur public qui est prélevée chaque mois, qui est une cotisation de un dinar par mois, prélevé chaque mois ou par an. En revanche, dans le secteur privé, c’est différent, les administrations privées n’ont pas encore le principe de la cotisation, mais elles ont opté pour le principe de l’adhésion par des cartes de 12 dinars par an. Cependant le financement touche presque tous les secteurs.”
Est-ce que l’Ugtt accepte qu’il y ait d’autres organisations syndicales? Ou encore le pluralisme syndical peut-il nuire aux négociations entre les différentes parties? A ce sujet, M. Ben Gadour déclare : “Tout le monde parle du pluralisme syndical, d’ailleurs il est stipulé dans la Constitution. Ceux qui veulent créer un syndicat peuvent le faire, il n’y a aucune restriction. Mais la création d’un syndicat n’est pas un problème, le fond du débat c’est de savoir comment se préparent les négociations. Ce n’est pas du jour au lendemain qu’un syndicat se créé. Quand on parle de négociations entre les parties prenantes, il y a tout un mécanisme : des conditions à respecter, notamment l’organisation de deux congrès.”
Il conclut : “Le ministère des Affaires sociales est en train de travailler là-dessus, à savoir proposer un texte de loi sur le pluralisme syndical et sur le principe de la représentativité. Ce qui se passe en réalité est autre. Nous avons des syndicats parallèles qui malheureusement ne remplissent pas ces conditions, à titre d’exemple ils n’organisent aucun congrès, et ils se proclament déjà syndicats.”
Ismaïl Sahbani, secrétaire général de l’Union des travailleurs tunisiens ( UTT ), confirme pour sa part qu’il est évident que pour chacun le pluralisme syndical constitue un moyen très important dans le processus de transition démocratique. Pour beaucoup, il peut même être considéré comme un droit acquis selon la Constitution tunisienne et le code du travail.
“En principe le pluralisme syndical est une bonne chose, parce qu’il offre des possibilités de négociations et un dialogue ouvert. Nous avons 200.000 adhérents entre les secteurs public et privé. D’ailleurs nos financements proviennent de la retenue sur le salaire, soit 1.5 dinar par mois, ou à travers la carte d’adhésion d’une valeur 18 dinars par an”, ajoute-t-il.
Cependant, nous ne disposons pas d’autres sources de financement, ce qui n’est pas le cas pour l’Ugtt ou encore de l’Utica et de l’Union des agriculteurs, puisque le ministère des Affaires sociales octroie des subventions à ces organisations (o,5% du budget du ministère). A mon avis, il faut que la répartition de la représentativité soit équilibrée. Mais malheureusement cette condition n’est pas en train d’être appliquée.
Il poursuit : “Même si la loi a tranché en notre faveur, le gouvernement, en revanche, n’est pas en train d’appliquer la loi. Cependant, nous serons amenés à prendre d’autres mesures si nous n’obtenons pas gain de cause.”
Il conclut : “En somme, le pluralisme syndical est une réalité auquel le gouvernement est amené à collaborer avec les institutions syndicales qui existent après le 14 janvier.”
Comment cela fonctionne-t-il dans les autres pays?
Les Etats-Unis, l’Allemagne ou encore dans les pays scandinaves ou la Grande Bretagne fonctionnent avec un seul syndicat qui regroupe les intérêts de tous les travailleurs. Il s’agit d’un modèle social démocrate où la question démocratique a suivi la question sociale. Contrairement à la France, où on parle de syndicats de confrontation comme la CGT en France qui estime que le patronat est toujours un adversaire. Or, le syndicat français est financé par un système de cotisations des entreprises qui paient les salariés qui assument des fonctions syndicales.