L’économie mondiale change rapidement et incorpore toujours plus de nouvelles technologies. L’informatique et le progrès des communications affectent notre façon d’apprendre et de travailler, ainsi que la nature des tâches que nous effectuons, à tel point que la valeur du travail qualifié, complexe et créatif, est critique.
Ce qui explique que la croissance économique des pays, en général, et de la Tunisie, en particulier, dépend de plus en plus de la qualité du capital humain – compétences, apprentissages et talents créatifs. L’éducation, scolaire et universitaire, demeure, à court terme, le pivot de la formation du capital humain. Toutefois, il est nécessaire de la mettre à jour et de la compléter par les apprentissages et la formation continue (en attendant de réformer le système éducatif).
Seule une éducation entièrement repensée permettra aux générations à venir de relever les défis d’un monde digital. Il s’agit surtout d’apprendre à apprendre. Les TIC sont en train de révolutionner l’éducation. 70% des métiers qu’exerceront plus tard les enfants qui entrent aujourd’hui à l’école n’existent pas encore.
Ainsi être scolarisé ne suffit plus et est même devenu dépassé et inhibant comme le souligne le philosophe allemand, Richard David Precht : « Le monde des grandes entreprises est souvent plus éclairé que nos écoles qui continuent à fonctionner, au fond, sur le modèle de la société industrielle, vieux de plus d’un siècle ». L’école « archaïque » ne suscite plus la joie d’apprendre et cela est illustré notamment par les résultats du Programme international de l’OCDE pour le suivi des acquis des élèves (PISA), l’évaluation mondiale la plus utilisée de la qualité des retombées de l’enseignement, et de l’enquête analogue sur les adultes, le Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PIAAC). En effet, « dans de nombreux pays, tous les enfants sont scolarisés mais seule une petite proportion d’entre eux atteint un niveau suffisant de compétences à l’issue du premier cycle du secondaire ». Ce constat s’applique aussi pour les universités tunisiennes.
Aujourd’hui, aucune université tunisienne ne figure dans le classement de Shanghai des 500 meilleures universités dans le monde. Au classement 2010 des meilleures universités au monde, réalisé annuellement par l’Université de Shanghai, l’Université de Sousse, la première en Tunisie, arrivait à la… 6719e place. Six ans plus tard, les universités tunisiennes sont toujours absentes du classement de Shanghai.
Le salut pour Tunisie nouvelle passera encore une fois par l’éducation de sa jeunesse et la promotion de leur talent et de leur créativité. Cela avait déjà été le cas dans les années post-indépendance, où les dirigeants avaient compris qu’un élément essentiel pour bâtir une Tunisie moderne et prospère, en l’absence de ressources naturelles abondantes, était forcément par ses ressources humaines. Une part importante du budget était consacrée à l’éducation sur tout le territoire tunisien. Cela a donné ses fruits jusqu’aux années 80, puis la tendance s’est inversée et une politique populiste des autorités a décentralisé les universités, dévalué le diplôme tunisien, vidé son contenu au détriment des compétences…
La qualité de notre capital humain est décisive pour la réussite économique des individus et du pays. Selon la définition de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique), le capital humain recouvre «l’ensemble des connaissances, qualifications, compétences et caractéristiques individuelles qui facilitent la création du bien-être personnel, social et économique», de plus «le capital humain constitue un bien immatériel qui peut faire progresser ou soutenir la productivité, l’innovation et l’employabilité».
L’éducation continue néanmoins à jouer un rôle important dans la formation du capital humain, en offrant le savoir de base et les compétences techniques. C’est toutefois insuffisant, car pour décrocher un premier emploi, ou pour réussir une reconversion professionnelle, il faut également des « soft skills », c’est à dire des compétences complémentaires. Pour Richard David Precht, les élèves et les étudiants devront impérativement développer des qualités relationnelles : « savoir naviguer dans la jungle du savoir, se relier à d’autres, monter une équipe, faire preuve de convivialité et de tempérance émotionnelle ». Des qualités auxquelles l’école ne les prépare pas, alors que «l’intelligence connectée se développe ailleurs, notamment grâce aux jeux vidéo auxquels des millions de jeunes s’adonnent avec frénésie sans aucun cadre».
L’amélioration du capital humain va au-delà de l’économie: elle améliore les niveaux de santé et contribue au développement des régions défavorisées, et surtout elle sera incontournable dans les années à venir, à mesure que la mondialisation valorisera les compétences technologiques et la capacité d’adaptation.
A terme, la Tunisie doit réformer l’enseignement primaire, secondaire et supérieur pour préparer la montée sur l’échelle de la chaîne de valeur, afin que l’économie puisse progresser au-delà des activités à basses qualifications et bas salaires. Il faut aussi corriger l’inadéquation structurelle entre la demande du marché du travail orientée vers un personnel non qualifié et une offre de plus en plus importante de personnel qualifié. Le secteur public est devenu de plus en plus la seule source d’emplois pour les diplômés. Ces taux de chômage élevés ainsi que la qualité médiocre des emplois disponibles sous-tendent le grand mécontentement social qui a été exprimé par la jeunesse tunisienne.
Dialogue national sur l’emploi
Le gouvernement a lancé récemment le dialogue national sur l’emploi pour créer « le plus grand nombre d’emplois décents ». Ce dialogue a aboutit à la Déclaration de Tunis dont un des axes principaux stipule de : « réformer l’éducation et la formation professionnelle en garantissant la complémentarité entre les différentes parties prenantes, ce qui rendra la formation professionnelle une de ses composantes stratégique. » Toutefois, le succès de la feuille de route que s’est fixé le gouvernement dépendra de son efficacité à démanteler un système basé sur les privilèges, qui appelle à la corruption et aboutit à l’exclusion sociale de ceux qui ne sont pas bien introduits dans les sphères politiques. Le manque de concurrence et le lourd fardeau bureaucratique constituent autant de freins à un marché du travail efficient.
Rôle de la société civile
Face à tous ces défis, et du fait d’une part, de la morosité de la croissance économique et l’embellie qui risque de tarder, et d’autre part, l’incapacité des gouvernements présent et passé de s’attaquer efficacement au problème du chômage des jeunes, il est important de placer le secteur privé au centre de toute approche de développement et d’en rechercher les synergies avec la société civile. C’est ce qui motive l’action du MDI concentrée sur l’amélioration du capital humain dans le domaine des TIC, et notamment dans le secteur des jeux vidéo. C’est aujourd’hui une question prioritaire pour le MDI. Nous sommes convaincus que d’ici 2020, le secteur des jeux vidéo peut créer 5.000 emplois directs et indirects. En France, le secteur du jeu vidéo représente 25.000 emplois et a généré en 2014, un chiffre d’affaires cumulé de 4,5 milliards d’euros. C’est la deuxième industrie culturelle après le livre. Le studio phare est Ubisoft avec 26 studios dans 19 pays.
Les perspectives pour le jeu vidéo sont prometteuses pour la Tunisie, pour le loisir, mais aussi pour d’autres utilisations comme le « serious games », véritable outil pédagogique qui pourrait à terme révolutionner le système éducatif tunisien, et d’autres domaines comme e-santé, les objets connectés ou encore les smart-cities. Le jeu vidéo permet aussi aux entreprises de faire la promotion de leurs produits et de vulgariser les nouvelles technologies auprès du grand public, comme la réalité virtuelle.
Les jeux vidéo sur mobile et les jeux en ligne sur ordinateur vont enregistrer une montée en puissance dans les prochaines années au détriment des jeux sur console. Ce phénomène proviendrait de « l’hyper connectivité des individus » qui souhaitent désormais consommer ce qu’ils veulent à tout moment, sur la plateforme de leur choix et donc via une multitude desupports (smartphone, tablette,…).
Selon un rapport d’E&Y de décembre 2015, le jeu vidéo figure au neuvième rang mondial des industries culturelles et créatives pour ce qui est du chiffre d’affaires, loin derrière la télévision, les arts visuels et la presse, mais devant le cinéma et la musique. Il compte par ailleurs d’importantes perspectives de développement grâce à la démocratisation du jeu sur smartphones et l’émergence d’une classe moyenne dans les nouvelles puissances économiques en Asie, en Europe de l’Est et en Amérique latine, d’autant que, en termes de chiffre d’affaires, le jeu vidéo français s’exporte plus que la littérature française.
D’ici 2020, le secteur des jeux vidéo peut créer 5.000 emplois directs et indirects. En France, le secteur du jeu vidéo représente 25.000 emplois et a généré en 2014, un chiffre d’affaires cumulé de 4,5 milliards d’euros. C’est la deuxième industrie culturelle après le livre. Le studio phare est Ubisoft avec 26 studios dans 19 pays.
Ce secteur en pleine expansion et comptant une grande diversité de métiers demeure encore peu connu dans notre pays. Le système éducatif actuel en Tunisie ne permet pas le développement de toutes les compétences nécessaires pour la mise en place d’une industrie du gaming, comme concept artist, game designer, level designer, community manager, brand manager, Graphiste 2D, Modeleur/textureur 3D, Animateur…
Notre initiative s’attaque également à des questions telles que l’enseignement ludique, les structures d’accueil de la petite enfance et le rôle critique que jouent les premières années de l’enfance dans la formation d’adultes productifs et bien adaptés, l’éducation, la transition de l’université au milieu de travail et l’apprentissage tout au long de la vie.
Le rôle du secteur privé est essentiel et son soutien à la société civile pour lancer des initiatives innovantes et originales est vital. A titre d’exemple, un accord de collaboration et de partenariat a été conclu entre le MDI et le Groupe Loukil pour démarrer des formations gaming et TIC à Sfax, ainsi que des activités de coaching pour encourager les initiatives privées et les startups. Cette synergie devrait permettre d’insuffler une nouvelle culture d’entrepreneuriat et d’initiative privée. Il est important que les jeunes cessent de compter sur le secteur public.
En conclusion, dans un monde toujours plus rapide, l’enjeu de l’investissement en capital humain et des Tech Clusters, synonymes d’emplois, de croissance, de grappes d’innovations et d’ouverture d’esprit est peut-être le défi technologique, économique, mais aussi politique et culturel de la nouvelle Tunisie. Une culture entrepreneuriale pourrait détenir la clé à plusieurs problèmes qui se sont accrus après la révolution, à savoir le ralentissement de la croissance économique, la montée du chômage des jeunes et la compétitivité de nos entreprises.
La tâche est certes complexe mais pas impossible. En 2008, il n’y avait pas de culture, et encore moins de relais pour les entrepreneurs, en Finlande. Puis, une initiative privée crée un groupe Facebook dédiée à l’entrepreneuriat au sein de l’université d’Aalto et, obtient en 2009, 500.000€ pour créer Venture Garage (un bâtiment industriel de 700 mètres de long). Leur première initiative sera d’emmener un groupe d’étudiants d’Aalto au MIT et à Stanford, pour baigner dans l’écosystème stimulant de l’innovation. Résultat, Venture Garage en profite pour tisser de précieux liens avec des investisseurs et des entrepreneurs américains, qui aideront activement les start-up finlandaises, lors de leurs premiers pas.
La culture entrepreneuriale a depuis beaucoup évolué en Finlande, et l’initiative privée y est pour quelque chose. Aujourd’hui, la Finlande consolide ses acquis, et réforme en profondeur son système scolaire, en créant des modules de sensibilisation à l’entrepreneuriat dans l’enseignement primaire et secondaire.
En Tunisie aussi, on a besoin d’un genre différent d’enseignement qui prépare à la vie active. Nous devons effectuer des changements en matière d’éducation qui sont nécessaires pour l’industrie et les nouvelles technologies, pour préparer nos jeunes à leur futur en leur transmettant des compétences utiles pour aujourd’hui et demain. Nous avons besoin d’un enseignement adapté au 21e siècle et du foisonnement d’initiatives privées.
L’expérience de la Finlande peut être pour nous une source d’inspiration et de coopération.